Archives mensuelles : mars 2022

Résistance

Reçu mon exemplaire de « Cucurucucu » avec une belle erreur de marge perdue dans la couverture, qui montre que je ne suis pas paré au plan neuronal à gérer sans faille tous les postes de production d’un livre. Et que si je devais me lancer dans l’autoédition, ce serait laborieux en plus d’être laborieux.

En ce moment néanmoins, elle me tanne, cette idée. Parce que pour écouter les témoignages de ceux qui se sont lancés – et ceux qui parlent ont souvent assez de réussite et de clairvoyance, je suis le candidat-type à l’autoédition : j’écris en masse, suis parti sur un rythme de croisière de trois ou quatre livres par an ; sans écrire des sagas, j’ai une trilogie achevée, deux trilogies en cours, et de toute façon, je trimbale d’un volume à l’autre des personnages récurrents qui ont des fonctionnements de clan. L’auteur Amazon lambda, en somme.

La chose qui m’arrête, à part la possibilité de buter vite sur mes limites de compétence, c’est que j’aimerais bien qu’un professionnel de la profession devienne mon partenaire et investisse dans ma seule qualité de travail plutôt que dans ma faculté à être une bête de somme, comme moi j’ai pu faire du temps où j’ai été galeriste avec « mes » artistes. Je les ai choisis et je leur ai juste demandé d’être artiste, pendant que j’étais encadreur, communiquant, bateleur, accrocheur, vernisseur et livreur.

La chose qui pourrait me faire basculer c’est la conviction qu’aucun éditeur n’est en position de publier tout ce que sors. Il faudrait être raisonnable et laisser des histoires dans mes tiroirs. Mais moi je tiens à tout. D’ailleurs quand je vois mes volumes sur leur étagère, je sais que le prochain sera la suite de « Vanina ah ah », et que sa couverture sera donc turquoise, qu’ensuite ce sera un volume blanc si tout va bien, puis retour au noir… ça me fait penser aux codes couleurs des anneaux sur les résistances. Et ça ne me plaît pas qu’un peu comme analogie.

François Léotard : ça va mal finir

Ce petit livre est le bilan et la colère feutrée d’un lettré, la vue éclatée de son renoncement à la chose politique, si la chose politique, c’est vraiment d’avoir à tout prix les mains propres, en n’ayant pas de mains. Il y a aussi, en fond, la déception Sarkozy et c’est que ça vous tirerait presque des larmes. En tout cas, ça prenait visiblement de la place sur la patate. Pour le reste, l’engagement et les convictions de ce monsieur ont été de survoler le pays le regard braqué loin vers l’horizon en chevauchant comme des chevaux ailés de grandes et belles idées. Pourtant souvent lucide, (« nous ne sommes plus la patrie de ces droits-là (les droits de l’homme), il suffit de voir l’état de nos prisons« ) il n’a visiblement pas été en mesure d’avoir de ses grandes idées un usage moins consternant.

Et puis alors il faut lire pour les croire les paragraphes ni plus ni moins que « gourmands » consacrés aux grandes dames de la cour. Le plus ouvertement gênant c’est celui qui a l’air de tripoter du dos de l’index Carla Bruni. Mais les autres sont croquignoles aussi : Rama Yade, Rachida Dati, Benazir Bhutto, que de frissons…

Extrait :

« Et puis il y avait Valérie Pécresse ! Une beauté faite d’ironie, d’étonnement, de séduction, de bouche mutine… Un rien de Catherine Deneuve, un autre rien de Sophie Marceau, et beaucoup d’elle-même, une actrice aux prises avec des étudiants mécontents, déjà trop vieux, toujours mal rasés. Qu’elle était belle sa petite fermeté discrète ! sa résistance souriante faisait du bien au pays, elle honorait cette élégance des femmes de France dont admirons la permanence. »

Trouvaille de boîte à livres, ce livre-ci va être rendu à sa vie sauvage où il pourra bien édifier au hasard d’autres curieux et railleurs.

En librairie…

Petit point sur ma situation éditoriale avant d’attaquer le volume 2 de la série « Étrange »

juin 2020

Par la racine volume 1 : la poursuite de la femme au chapeau à plume – 315 pages

Villeurbanne, Mars 2020 : Le jour même où Amos apprend que désormais les heures qui lui restent à vivre sont comptées à rebours, il fait la connaissance de Déborah et de son chapeau à plume. La découvrant sous menace d’un mari manipulateur et violent, Amos s’embarquera, et avec lui l’intempestif Sal son acolyte de toujours, dans la  vrille d’une  aventure un  peu torve, sanglante, grotesque, qui aboutira, après quelque heurt et malheur collatéral, à la mise sous cloche de tout et toute affaire cessante : le confinement.

Novembre 2020

Par la racine volume 2 : l’homme à la chemise verte – 307 pages

Villeurbanne, cependant qu’Amos Kowitz a trouvé un moyen presque miraculeux de revenir à la vie pendant que le pays est sous l’éteignoir du confinement, l’enquête sur le double meurtre du théâtre semble inexorablement se rapprocher de lui et de sa petite smala. Aidé de son acolyte Sal il va tenter de brouiller les pistes et les deux vieux sinocs vont devoir s’employer beaucoup plus qu’escompté. Beaucoup trop ?

janvier 2021

Par la racine volume 3 : Terre d’oiseaux – 287 pages

De Villeurbanne à Ajaccio, Amos Kowitz, sitôt déconfiné, court après la montre et, comptant à rebours ses jours, les emploie, avec ses nuits blanches, à laisser un monde plus sûr à ceux qui lui survivront ; et surtout à sa fille. Il n’est pas seul à la tâche, puisque sa bru lui prête main-forte, ainsi que son vieux camarade Sal, qui lui, lui prête ce qu’il peut.

Avril 2021

Spin’ off : la vie en rose – 153 pages

Villeurbanne, Mai 2036 – On est sans nouvelles depuis près de trois semaines d’Émilienne Boissin. Gaby Kotska est mandatée pour tâcher de la retrouver et se confronte assez vite, sinon à des indices exploitables, aux traces d’une disparition inquiétante. Gaby Kotska ne traîne pas les pieds, mais… elle est meilleure pour la castagne que pour les enquêtes ; et puis a-t-elle vraiment envie de la retrouver, cette dame Boissin ? Et cette dernière a-t-elle seulement envie qu’on la retrouve ?

Août 2021

Étrange volume 1 : Vanina ah ah – 291 pages

Villeurbanne, 2036 – Jean-Georges Rodriguez se réveille captif, et, non seulement sans mémoire de ce qui l’a conduit là, mais aussi et surtout sans l’exosquelette et l’arsenal qui font de lui, la nuit, le « French-Méca », justicier masqué récemment rétrogradé de la classe 4 à la classe 3. Il comprend très vite qu’il pourrait être impliqué dans un viol ayant été commis dans les quelques heures dont il n’a plus le moindre souvenir ; et d’ailleurs une jeune femme, à la faveur d’un tapissage, l’identifie et témoigne de son comportement alcoolisé et agressif sur les lieux du crime.

Devant faire face à un début d’enquête pouvant mettre en question son anonymat, et, de là, la suite de sa carrière, il n’a que l’espoir de retrouver au plus tôt la mémoire qui lui manque, ou d’être tiré d’affaire par l’intervention de quelqu’un de ses paires… Mais en aucun cas, il n’aurait imaginé que son sort pût dépendre de sa coéquipière : « Spectre Noire ». Pourtant son pouvoir à elle est bien réel, et réellement immense, et son dévouement, son courage et son affection sans limites. Le pépin, c’est qu’elle est intellectuellement peu capable d’élaboration, ou, pour le dire sans détour, qu’elle est « con comme un boulon ».

Et pourtant…

Novembre 2021

La part du feu volume 1 : Où la lune va – 249 pages

Île fluviale d’Odina 2038 : au terme d’une nuit de combat, l’incendie qui a menacé tout le maquis montant au village est enfin circonscrit et celle qui a mis le feu est en cellule. C’est une enfant du pays, Personna, un peu zinzin, un peu enragée, certes, mais réputée sans rage à l’endroit de la petite société de l’île. Quelle mouche l’a piquée ?  Ce qui incombe maintenant au shérif Silas de Bohr, c’est de le comprendre, et d’abord de garder sa prisonnière de la colère populaire en attendant l’arrivée du coroner Noren et de son équipe. Mais le feu a sa part, qui met la terre à nu et la remue, et fait surgir des ossements, puis tout un charnier : des enfants.

C’est aussi le corps d’une enfant suppliciée qui s’échoue un peu en aval sur la cale de mise à l’eau d’Ortigie. Elle porte les marques distinctives de la communauté Numunuh. La shérif locale, Gabrielle Kotska, depuis peu en poste, fait le lien avec les macabres découvertes du comté voisin et achemine elle-même le corps jusqu’à l’île en réquisitionnant le camion-poissonnerie de la caravane du marché ambulant. À la demande du coroner, elle se joint à l’équipe d’enquête où elle retrouve en plus du shérif De Bohr, le détective Blaise Cody qui a combattu naguère sous ses ordres. Quand on découvre un deuxième ossuaire, il apparaît évident pour le trio que Personna, la jeune pyromane détenue en ville, en sait plus qu’elle ne le dit, et qu’on n’est qu’au début d’entrevoir l’ampleur des atrocités que son acte incendiaire a révélés.

Février 2022

Écarlate volume 1 : Cucurucucu – 135 pages

Petit Bar de Nadia, Bada a encore trop bu et s’en est même oublié sous sa chaise. Ça fait deux fois cette semaine, on ne sait pas trop ce qu’il a en ce moment ni quel coton il file. Comme souvent, Marton Kiss se propose pour le raccompagner chez lui. Au moins pour le mettre sur le bon chemin. Nadia est bien chanceuse de compter le grand et costaud, et taciturne, Marton parmi ses habitués et plus zélés soutiens. Chanceux, Bada l’est peut-être bien moins, et d’ailleurs, ce soir la chance va être happée toute dans une petite embardée. Et complètement dérailler.

L’éclipse

Il faudrait que l’orage ne dure pas trop, et pour dire vrai, il faudrait qu’il soit déjà passé. Parce que je n’arrive pas à aligner deux idées consécutives, quand c’est bien le moment d’avoir un peu de sa tête à soi. D’autant que l’autre grand redresseur de torts, re-pendeur d’andouilles, devrait revenir d’une minute à l’autre avec la police. Mais Frida ne décolère pas après moi, et quand elle est comme ça, il n’y a pas moyen de la calmer. Il faut encore qu’elle m’agonisse de soupirs quand elle est arrivée au bout de son stock d’injures.

– Frida, essaye d’être raisonnable…

– Non, mais je rêve, il faut que je sois raisonnable ? Moi ?

C’est vrai que je ne pouvais pas trouver formule plus à même d’encourager sa rage à mon endroit. Après tout, si l’on en est là, c’est précisément que, raisonnable, je l’ai été assez peu ; comme d’habitude, mais d’habitude, je peux compter sur quelque chose de l’inconséquence généralisée. Comme si je déteignais sur mon environnement. Ce qui est un vœu pieux, bien entendu, et à 54 ans je devrais commencer à le savoir.  Mais non, tu parles. Aussi qu’est-ce qui m’a pris ?

– C’est vrai, ça, qu’est-ce qui t’a pris d’aller piquer une laisse pour chat ? Dans notre Moniprix en plus, dans notre quartier, où tout le monde nous connaît, où tout le monde nous a vus nous faire serrer par le vigile ? Il aurait voulu fouiller dans mon sac, dans mon portefeuille, devant tout le monde, et tout ça pour quoi ? Pour une laisse pour chat, Sal, vraiment ? Une laisse pour chat ?

– Oui, mais elle est à enrouleur.

– Ah d’accord, je n’avais pas cette donnée, c’est pour ça que je ne comprenais pas bien. Et tu me le présentes quand ?

– Te présenter qui ?

– Ton chat, couillon. Je ne savais pas que tu avais un chat. Depuis le temps que je te pratique, que je dors avec toi, j’avais l’impression qu’on était un peu proche. Mais visiblement, on ne l’est pas encore assez. Qu’est-ce que tu avais prévu de faire d’une laisse pour chat ?

La vérité c’est que je n’ai rien prévu du tout. La vérité c’est que je suis débile, ce truc s’est retrouvé dans ma main parce que j’ai trouvé la couleur du plastique de sa coque… je ne sais pas comment le dire autrement, je l’ai trouvée magnifique. Un turquoise très chaud, qui tire un peu sur l’anis. Et ça aurait dû s’arrêter là, c’était une petite émotion esthétique volée à la grisaille à l’entour, un rendez-vous inattendu avec le sublime à ma portée, merci la vie, à la prochaine. Mais non, il a fallu que je glisse l’objet et son emballage sous mon pull. Et ça encore ce n’est rien. Le pire, c’est qu’il a fallu que le vigile me voie faire.

Je l’avais repéré pourtant, j’avais vu qu’il nous tournait autour. Tu parles, dès qu’on est rentré dans le magasin, je l’ai vu zézayer, grande focale, petite focale et tremblement du menton. Mais il faut dire que Frida, autant elle n’aime pas que je nous fasse remarquer, autant, quand elle met ce jeans  à mémoire de forme avec ses talons tic tic tic, il n’y a pas moyen de ne pas s’intéresser à elle. Ne serait-ce que pour la science. Et je l’ai bien vu, le vigile, que c’était un scientifique. Ça, on n’a pas besoin de se rencontrer dans des colloques pour se reconnaître entre nous. Et c’est aussi pour ça qu’il a mis tant de zèle à nous serrer, l’animal.

D’ailleurs…

Je me lève et vais à la porte. Ça se confirme, il nous a enfermés à clé dans son bureau ; zélé, le garçon. La porte est costaude, bien plus que moi du moins, et puis de toute façon on est à l’étage, pas moyen de s’éclipser par là. Pourtant, je sais que c’est la bonne idée. De toute façon, maintenant on est grillé pour un moment dans ce Moniprix. Ce n’est pas pour ce qu’on y allait que ça va nous manquer. Finalement, on s’est retrouvé là par flemme, et la flemme c’est mal. C’est même un péché capital au même titre que le consumérisme, mais ça, ni la bible ni les journaux n’en parlent, tu penses bien. On nous ment. Du coup, c’est plutôt une aubaine ce qui nous arrive, on se tiendrait pour gardé un temps de deux tentations majeures. Surtout maintenant qu’on sait qu’ils vendent des laisses pour chat turquoise. Je vais à la fenêtre et l’ouvre. Elle donne sur la petite rue Léon Chomel, pile en surplomb de la sortie de parking. En face, le terrain vague qui s’étend maintenant à tout le pâté de maisons et comme d’habitude à cette heure-là, très peu de circulation. Frida me rejoint, elle a pris la roue de mes cogitations, mais :

– N’y pense pas, Sal, c’est beaucoup trop haut. Et puis si on nous voit, tu te rends compte, la honte ?

– Est-ce que ce serait une honte pire que celle qui nous attend de toute façon ?

– La question ne se pose pas, de toute façon c’est trop haut.

– Pour toi peut-être, mais pour moi ? Ah, voilà, j’ai un plan. C’est fou ça, dès que tu me laisses gamberger, j’ai des solutions. Tu devrais songer à te taire plus souvent, tu sais ça ? Ce qu’on n’a qu’à faire, c’est que moi je m’enfuis par là, et puis toi tu restes ici avec tes talons et ton jeans slim, et tu me fais coucou de la main comme une bigouden à son marin de mari.

– C’est ingénieux… Oh ! Attention !

On a le même mouvement de recul réflexe. Une voiture de police vient d’apparaître au bout de la rue et bifurque aussitôt vers l’entrée du parking. Le vigile ne plaisantait pas. Il faut dire qu’on n’a pas été les plus repentants des bandits de grand chemin, surtout pour des amateurs pris sur le fait. Enfin, moi encore ça va, j’ai eu un début de génuflexion pour battre ma coulpe, et je l’aurais battue autant qu’il aurait fallu, mais Frida c’est une fière. Elle n’aime pas être prise la main dans le sac… surtout quand elle n’a pas la main dans le sac. Et puis le vigile n’y a pas non plus mis du sien. Visiblement, il débute au poste, et à la manière dont il nous a signifié, en mâchonnant sans chewing-gum à mâchonner, qu’il y a un nouveau shérif en ville et que désormais il nous faudrait compter avec lui, à ses jambes arquées et à ses petits yeux plissés et intelligents, on a bien vu qu’il y avait plus qu’une congruence, un alignement de planètes : pour ce gars-là, sécu de supérette, c’est un métier passion. Moi j’ai trouvé ça beau et je ne m’en suis pas caché. Mais Frida, elle a trouvé ça drôle, et ne s’en est pas cachée non plus. Alors si on en est là maintenant, c’est un peu de sa faute aussi. Je me penche à nouveau à la fenêtre, la voiture de police est entrée dans le parking souterrain : pas âme qui vive.

– Frida, il faut se décider, maintenant.

D’accord, c’est haut, mais je sais ce qui la retient d’abord d’envisager une fuite par la fenêtre. Bien sûr, c’est un coup à se faire mal en sautant, mais avant toute chose, c’est un coup à se salir et à se froisser, et ça c’est son plafond de verre, à ma Frida… si je parviens à la faire démordre de ce seul premier frein, je sais qu’ensuite elle sera prête à tout outrepasser. Le vigile a laissé sa parka doublée poils de lapin de synthèse sur le dossier de sa chaise. Elle est lourde et épaisse, mais elle s’étale quand même bien sur le rebord de la fenêtre. Je tâtonne, je lisse et je tapote ; ça rend confortable. Frida soupire, je te jure, qu’est-ce que je ne lui aurais pas fait faire, mais elle s’appuie sur mon bras quand même pour enlever ses chaussures, et se penche à nouveau à la fenêtre :

– Non, mais je ne vais pas y arriver, Sal, c’est beaucoup trop haut.

– C’est trop haut parce que tu envisages de sauter de la fenêtre, mais tu ne vas pas sauter de la fenêtre.

Je sais qu’elle a fait le plus dur, qu’elle a déjà débranché le cerveau, alors je lui prends ses petits escarpins et son petit sac des mains, et je les glisse dans ma besace en bandoulière. Puis j’empoigne fermement l’appui de la fenêtre, y pose mon bassin et fais basculer mes jambes dans le vide :

– Tu vas t’accrocher à moi, et tu vas te laisser glisser le long de mon corps de rêve.

– Non, mais Sal, tu ne tiendras jamais… ton corps de rêve, je l’ai vu à l’épreuve de l’ouverture d’un bocal de cornichons hier.

– Et alors, le l’ai ouvert ou pas ?

– Oui, mais quel suspens…

N’empêche qu’elle s’est approchée de la fenêtre avec sa tête toute penchée pour anticiper les mouvements à faire. Alors, serrant fort la barre du garde-corps, je laisse glisser mon buste dans le vide.

– Allez, Frida, c’est maintenant.

Alors elle y va, gaillarde. Elle défait le bouton du haut de son pantalon, et elle balance une gambette par-dessus bord. Elle laisse aussitôt libre cours à une litanie de jurons où je ne suis jamais formellement nommé, mais où je parviens tout de même à m’identifier, d’autant que c’est accompagné de quelques coups de genoux dans mon dos, le temps qu’elle se trouve à pendouiller comme moi, derrière moi. Il faut qu’elle lâche la barre.

– Sal, j’ai peur.

– Alors remonte.

Mais bien sûr, elle ne peut pas. Elle n’a pas la force. Alors elle passe prestement son bras sous ma gorge, puis le deuxième, et ça va que c’est un poids plume ma Frida, parce que c’est un étranglement dans les règles de l’art en plus de la mise au supplice de mes petits bras de chanteur pour dames, et ça va qu’elle enchaîne assez vite. Je la sens glisser dans mon dos et nouer ses bras menus à ma poitrine, et c’est dommage qu’elle pousse ce râle que je ne lui ai jamais entendu, qui doit venir du fin fond de son être primitif, mais qui ressemble à quelque chose du soupir d’aise grossier qu’on a quand on s’est trop retenu de faire pipi. Ça gâche un peu tout. Mais ce n’est rien au regard du cri qu’elle pousse quand, se laissant glisser jusqu’à mon bassin, elle se rend compte qu’elle est en train de passer dans l’élan le cran de mes hanches et qu’elle ne le passe pas seule puisqu’elle entraîne dans sa lente dégoulinade, et mon pantalon et mon slip. Et qu’une fois que ça, ça a cédé, le mouvement s’accélère, puisqu’elle est déjà à mes pieds. Et quand ma chaussure droite me lâche, Frida me lâche aussi avec toute la jambe droite de mon pantalon. Je l’entends crier « non ! », puis j’entends le bruit caractéristique des pneus d’une voiture qui pile en urgence, je regarde : Frida est à genoux à pas vingt centimètres d’un capot gris métallisé. Et elle est grise métallisée elle-même. Mais elle se relève, elle va bien. Enfin à peu près : elle me jette un regard ni plus ni moins qu’offensé. Mais il faut dire je n’ai pas lâché, alors que j’ai les avant-bras au supplice et que j’ai les fesses à l’air, le slip au mollet, et mon pantalon qui pend sous mon pied gauche.

– Punaise, Sal… ce n’est pas possible…

– Quoi ?

– Lâche tout, espèce d’âne.

Elle se pousse d’en dessous, disparaît même, alors je lâche à mon tour et surabonde dans le malaise et l’offense en commettant une roulade arrière, cul nu, à la réception. Ça a dû être assez laid, mais pas autant que ma stupéfaction en découvrant Frida qui tient ouverte la porte passager de la voiture qui a manqué de l’écraser. Cette Merco de parvenu, je la reconnais… c’est ce dingo d’Adamo ; on est tombé sur ce dingo d’Adamo ! Ce type prend sa voiture pour aller faire ses courses chez Moniprix, à deux hectomètres de chez lui ! Et c’est lui qui me fait les yeux ronds et toute une tête d’effarement ? Bon d’accord j’ai la quéquette à l’air et je viens de tomber du ciel, mais ce type fait ses courses en voiture, mais est-ce que ce n’est pas juste dingue, ça ?

– Sal ? Tu fais quoi ?

Je fais quoi, je fais quoi, elle en a de bonne, Frida, je fais ce que je peux, je me ressaisis, je ramasse ma chaussure, et je la rejoins à cloche-pied ; à sa tête, je comprends que je suis comme une vision de sa propre déchéance. Alors elle m’ouvre la portière arrière et avant que j’aie pu m’y engouffrer tête la première je l’entends commander :

– Ne pose pas de question, démarre s’il te plaît, Adamo.

– Qu’est-ce qui se passe au juste ? Qu’est-ce que vous faites ?

– Rien, on essaye… On essayait juste d’échapper à la honte. Démarre par pitié.

Et n’empêche qu’on y est arrivé.

Éric Neuhoff : (très cher) cinéma français

Pamphlet ronchon et nostalgique dans son abord le plus doux, ce petit livre coulé d’une traite râpe assez pour transpirer la colère en sus de la seule mélancolie. l’ensemble-patate des regrets est suffisamment meuble pour contenir Claude Sautet et mai 68, les salles des Champs et Deneuve qui fume et ne grimace pas quand elle souffre, mais aussi tout un temps où le cinéma français n’était pas encore devenu une raison sociale. Les cinéastes d’aujourd’hui, les acteurs d’aujourd’hui, les critiques d’aujourd’hui, et les enfants qu’ils font les uns avec les autres, en prennent méthodiquement pour leurs grades : «leurs films ressemblent à des appartements témoins».

Je regrette de n’être pas suffisamment cinéphile pour suivre tous les regards et pour goûter une sur trois des allusions et références, mais je n’ai pas boudé mon plaisir à certaines méchancetés crasses voire à certaines promesses d’acharnement gratuit. Le trait est forcé pour rire et de toute façon les oreilles qui sifflent ça ne fera pas des acouphènes à Isabelle Huppert et François Ozon.

Extraits :

Ces journalistes ressemblent à des mères maquerelles qui diraient aux clients : «vous, vous couchez avec celle-ci. Pour vous ce sera celle-là». Le client remonte sa braguette. Non merci.

Un pays où  Isabelle Huppert est considérée comme la grande actrice est un pays qui va mal.

En librairie…

Et de sept…

J’ai envoyé ce jour mon septième manuscrit à la « profession ». Il y a maintenant des éditeurs que je ne solliciterai plus qui s’ajoutent à la liste préconçue de ceux que je ne solliciterai jamais – moi vivant jamais !

Mais il en reste en plus de ceux auxquels je tiens mordicus.

Le fait est que je croise les doigts à blanc une septième fois.

Cucurucucu est un petit récit un peu noir… juste un peu.

Petit Bar de Nadia, Bada a encore trop bu et s’en est même oublié sous sa chaise. Ça fait deux fois cette semaine, on ne sait pas trop ce qu’il a en ce moment ni quel coton il file. Comme souvent, Marton Kiss se propose pour le raccompagner chez lui. Au moins pour le mettre sur le bon chemin. Nadia est bien chanceuse de compter le grand et costaud, et taciturne, Marton parmi ses habitués et plus zélés soutiens. Chanceux, Bada l’est peut-être bien moins, et d’ailleurs, ce soir la chance va être happée toute dans une petite embardée. Et complètement dérailler.