Archives mensuelles : février 2023

Edgar Lawrence Doctorow : Ragtime

Dans “Ragtime” d’Edgar Lawrence Doctorow, le big bang originel de notre monde contemporain est montré dans son jus : l’Amérique d’avant grande guerre, violente, instable, morgueuse et dénuée de vergogne, et qui fait la part belle aux individus qui revendiquent justement plus que leur part, starlettes comme violeurs-prédateurs, grands industriels ou illusionniste de prestige ; on croise d’ailleurs Houdini, John Pierpont Morgan, on conquiert le pôle nord avec Peary aussi bien qu’on reçoit de plein fouet l’énergie révolutionnaire excitée dans l’étuve de l’injustice de classe et de l’inégalité ; on croit comprendre assez vite que les personnages qui n’ont pas de nom, qui ne sont désignés que par leur statut familial, “père”, “jeune frère”, “mère”, vont être les vrais personnages de ce récit en puzzle, en agglomérat de situations. et on se trompe à moitié. Parce que soudain, très au-delà du deuxième tiers du livre, une situation parmi toutes prend feu, est jetée sur le devant de la scène, et c’est celle-là qui va devenir l’intrigue. Et c’est celle-là que toutes les autres vont éclairer.

C’est écrit sans fioriture et sans effet, c’est simplement terrible d’acuité, d’importance et de maîtrise. Je ne lirai pas meilleur livre cette année. Parce que je n’en ai pas lu de meilleurs toutes les années passées. Merci Raphaëlle Gonin, pour la recommandation expresse.

P.S. 1 : parmi les personnages qui n’ont pas de nom, il y a un nouveau-né qu’on voit du moment où il est trouvé-sauvé jusqu’au moment où il marche, et il n’a pas de nom non plus. Et pire, dans le récit, personne ne songe à lui en donner un.

P.S.2 : le livre que j’ai lu est traduit de l’américain par une dame qui s’appelait Janine Hérisson, qui a traduit aussi Dashiell Hammett et Chester Himes et dont je ne me remets pas de ne pas trouver d’œuvre originale personnelle. Est-ce que je cherche mal ?

P.S.3 : Ce livre a fait l’objet d’une adaptation cinématographique par Milos Forman. Je l’ai trouvé sur le bon coin, ce serait bien que je me trouve chiche de le voir, dans pas trop longtemps.

En librairie.

Projet de fiche personnage : Lilas Devin

Lilas Devin, dans la garde rapprochée d’Aoda Flupke, est certainement la plus capée et la plus dangereuse. Maîtresse d’arme, formée à l’orphelinat militaire, elle est tout en muscles et en nerfs et n’a pas d’état d’âme a priori sauf à compter à ce titre son inflexible détermination. Elle vit dans la maison de sa patronne et n’a ni loisir ni horizon que sa mission et l’impératif de se maintenir au sommet de sa forme. Elle n’aime rien tant que la compagnie des dures à cuir de sa petite compagnie d’élite, et les soirées en corps de garde épuisent sa sociabilité courante.

Si elle n’est pas la confidente d’Aoda Flupke, elle a depuis lurette débordé de sa fonction initiale puisque aussi bien elle pourrait être majordome, grand chambellan, ou chaperon, tant elle la suit comme une ombre en toutes circonstances et en tous lieux. D’abord entretenant une rancœur assez effrayante à l’endroit de ce pauvre Joseph, elle va finir par adoucir cette première appréhension en raillerie ouverte, en tendre brutalité, puis en une fraternité d’équipière. Il y a peut-être anguille sous roche.

Son karma : teigneuse. Et c’est tout !

Johana Gustawsson : SÅNG

SÅNG est un roman dans le genre du “Purge” de Sofi Oksanen, avec la même ficelle narrative où la situation présente s’éclaire à la lumière d’un passé traumatisant lointain, sauf l’écriture de Johana Gustawsson est plus concise, et plus malicieuse. Un triple homicide en Suède dans les années 2010 s’origine dans les très noires années 50 et l’Espagne de Franco. De courts chapitres sans trop de fioritures passent d’une époque à l’autre, et on comprend assez vite que les quelques scènes très nocives qu’on a à passer sont là pour nous faire vivre la transmission comme héréditaire des grands traumas.

C’est très bien ficelé, puisque jusqu’au bout on ne sait pas comme ça va vraiment se dénouer, et que l’intrigue a assez de cruauté : ce ne sont pas ceux qui le mériteraient vraiment qui sont châtiés. C’est tordu, peut-être un poil trop puisque la résolution finale consiste à faire rentrer au chausse-pied trois destins parallèles dans une seule situation. Mais ça ne coince pas assez pour remettre la crédulité à la terre. Et puis à part ici ou là quelques colliers de nouilles stylistiques et des scènes de sexe seulement gratuites, je n’ai jamais été sorti du récit.

En somme encore une leçon de genre.

En librairie

Projet de fiche personnage : Marla Ariel

Marla Ariel est la sœur aînée de notre Joseph et également son presque exact contraire. Elle est conquérante autant qu’il est velléitaire, elle est aventureuse quand il est casanier. Elle est en acte et n’a pas peur de grand-chose. On dirait que l’apocalypse l’a seulement prise de cours et lui a donné l’occasion de revoir ses projets. Voire d’en changer radicalement. Et ça lui va. Elle n’a pas le niais optimisme de son frère et c’est pour ça qu’elle ne baisse jamais les bras. Ni sa garde.

Au début du récit elle est enceinte presque à terme et ça ne l’empêche pas d’embarquer dans toutes les embardées possibles, et de les souhaiter avec ardeur même. Dans l’idiotie chimiquement pure, elle fait une bonne équipe avec son pétochard de frère, et elle sait être décisive. Librement inspirée de la sœur aînée de je ne sais pas trop qui.

Son Karma : cuirassée, magagneuse d’élite, ratière, lucide et avant toute chose petit cœur tendre.

Projet de fiche personnage : Aoda Flupke

Aoda Flupke, dite “Dada”, mais uniquement pour son ami Joseph, est l’héritière de la fortune Flupke. Elle est née milliardaire, mais c’est sans commune mesure avec la fortune qu’elle a engrangée depuis l’apocalypse qui en fait à peu de chose près la maîtresse très contestable de ce qu’il reste du monde en ceci qu’elle a acquis la plupart des terres émergées et que les titres de propriété n’ont plus aucune valeur. Mais sa fortune serait seulement ce dérisoire si elle ne la mettait au service de sa puissance effective : c’est elle qui mène à la baguette le recensement exhaustif du vivant survivant, et le repeuplement à marche forcée.

Son amitié avec ce pauvre Joseph est contre nature, quand même elle date de bien avant la “saignée”, et plus le temps passe plus elle ressemble à une relation par défaut, tant Joseph semble toujours sur le point de faillir à tout. Mais contre toute attente elle tient bon, et tout le suspens à dénouer sera de savoir si elle ne tient qu’à la fiabilité des faibles qui semble être la raison sociale de notre antihéros. Ou s’il la mérite autrement, et donc un peu plus que mieux.

Son Karma : Maîtresse du monde, grande perche, désabusée, féroce, tellement déçue.

Sofi Oksanen : Purge

Ce roman est celui, absolument tragique, des petites gens qui ont résidé, ou croient à l’instant T pouvoir trouver refuge, dans une petite ferme d’Estonie occidentale, sur deux périodes distinctes : de 39 aux années 50 d’une part, et en 1991 d’autre part. Les deux époques sont incarnées respectivement par les deux personnages de ce huis clos cru qui se font face et que l’auteure incarne à tour de rôle. Et l’intrigue, construite par petites touches, raconte aussi l’histoire d’un territoire qui s’est retrouvé soviétique parce que la géographie pouvait l’ordonner, puis enseveli par l’Allemagne Nazi, avant d’être éteint presque pour de bon par le libérateur russe. Il décrit par ailleurs dans le détail ce qu’a été la traite humaine dans les années 90.

Deux dames se font face, deux martyres, et celle des années 50 parle comme dans les années 50 par ellipses des horreurs endurées quand celle des années 90 appelle un chat un chat. Dans les deux cas , le cœur est soulevé. Donc ce n’est pas une lecture que je peux recommander sans réserve. D’autant qu’il y a aussi des moments de “trop écrit” qui m’ont un peu sorti du récit. Mais j’ai pris une bonne leçon de genre. Je relirai Sofi Oksanen à coup sûr.

En librairie

Projet de fiche personnage : Zelda et Berthe

Zelda et Berthe sont les gardiennes de la centrale de Noves (univers les sublunaires). En fait, elles étaient déjà sur le site quand il a été question de le relancer et d’en assurer la maintenance : Berthe la femelle Léopard noire arrivée là il y a peu on ne sait pas exactement comment, ni pourquoi, et Zelda terrée dans ce bout du monde depuis un peu avant l’apocalypse, avant que son mari ne la tue. Zelda nourrit les animaux du vaste maquis qui est sa charge prioritaire et effective, et Berthe la protège avec son instinct du guet-apens, son mode opératoire de serial killeuse, et sa mâchoire dévastatrice.

Le gros chat est tout à fait en mesure de ronronner parfois. Son humaine beaucoup moins, mais Zelda a perdu tout le monde. Elle est quelque peu chaman à ses heures et connait les propriétés des plantes de son petit maquis en sorte qu’elle sait soigner autant qu’elle sait tuer. Et elle fait les deux. C’est selon ce qui lui vient.

Elle est par ailleurs une des rares amies connues de la Pythie.

Leur Karma : Indissociables, fusionnelles, patientes, très avisées, humaniste pour l’une et probablement léopardiste pour l’autre.

Projet de fiche personnage : Odile Saigne

Odile Saigne est un personnage récupéré de la version antérieure de “les sublunaires”, mais pas en l’état : je lui ai changé son nom et très légèrement aggravé son coté “impériale bégueule”. Plieuse de confettis en quatre et vraie crâneuse elle est la troisième tête du trio punk Brain-Savates. Elle adore embarrasser les timides et afficher les gens réservés et discrets, elle adore aussi avoir raison, ou à défaut, avoir le dernier mot. Autant dire que je l’adore.

Mais elle a aussi des défauts. Elle est courageuse et bien plus fiable que ce que l’air qu’elle se donne pourrait laisser supposer. Son développement est encore incertain parce qu’il dépend d’une option scénaristique : Est-ce que je fais ou non fructifier un “rapprochement” avec un autre personnage. Que ce soit le cas ou pas, elle devrait s’épanouir et devenir luxuriante. Je lui vois un gros potentiel ; enfin surtout à moi avec elle.

Son karma : Petite péteuse, friable, mouche du coche, paresseuse, fashion, intrigante.

John-Kennedy Toole  : La conjuration des imbéciles

C’est la deuxième fois en peu de temps que je m’impose la lecture jusqu’au bout d’une rinçure juste pour obéir à une injonction de l’époque qui dit qu’on a raté sa vie si l’on n’a pas une Rolex, et/ou si l’on n’a pas aimé “La conjuration des imbéciles” de John Kennedy Toole. Richard Brautigan est un autre de ces discriminants, et quant à Pynchon je ne suis pas encore allé au bout, mais je sens bien que je vais rester du coté des ratés. Et ça m’ira très bien.

“La conjuration des imbéciles” comme son nom l’indique, donne à fréquenter des imbéciles sur 450 pages. Ignatius J Reilly, le personnage principal est le plus imbécile de tous, un érudit lamentable, égotique, immature, hypocondriaque, crasseux, qui persécute et humilie tout son entourage du début à la fin du livre, et qui à aucun moment ne laisse espérer de sa possible rédemption. Il est atrocement gênant du tout début à la toute fin. Répugnant. Et le livre ne parle que de lui.

Les autres autours, qui font figures, ne sont pas beaucoup mieux  : une bande de caricatures plus viles et bêtes les uns que les autres à qui il arrive des péripéties grotesques et qui voudraient vous faire croire que la superficie de la Nouvelle-Orléans n’excède pas celle d’une scène de théâtre de Boulevard, tellement ceux qui doivent se croiser se croisent, tellement ce qu’on cache dans la poche de l’un se retrouve dans la poche de l’autre, et tellement le hasard, tout compte fait, à coté en tout cas, est un bon romancier.

Le seul plaisir que j’ai eu, coupable, tient à ce qu’à aucun moment quiconque dans cette bande de débiles ne s’avise d’être ne serait-ce qu’un peu “correct”.

On dit que c’est une farce. C’est une vaste blague.

En librairie…