Archives mensuelles : mai 2022

Youtubeur déco vs Youtubeur fashion

Premiers essais de tournage d’une vidéo pour annoncer la sortie mi-juin de « la poursuite de la femme au chapeau à plume », et ça va me demander de dépasser mon tempérament de bricolo. Parce que le son souffle, la lumière sature, et le monsieur articule peu, bégaie beaucoup et n’aime pas trop sa gueule.

Mais ce qui saute aux yeux, c’est d’abord le décor, bien dans l’épure et la zénitude.

Heureusement, pour compenser ce trop-plein, j’ai eu la bonne idée de m’habiller sobrement.

Bref, si j’assume, ça devrait sortir autour du 15 juin, et ce sera interdit aux épileptiques. Pour toute réclamation, adressez vous à ma directrice artistique.

Vanina §21

– Méca ? Je vous ai préparé des vêtements propres sur mon lit. Ce sont ceux de mon beau-frère, je leur fais le repassage, comme ils travaillent tous les deux. Il a à peu près votre gabarit même si vous êtes plus tanké. Ma chambre c’est la porte juste en face de la salle de bain, je la laisse grande ouverte. Moi je vais dans le salon, je prépare mon sac avec mon costume. Vous voulez un smoothie ? J’ai plein de fruits.

– Merci, mais on n’aura pas le temps, Spectre, ils ne vont plus tarder à venir nous cueillir ici.

Jean-Georges Rodriguez, tenant sa serviette à sa hanche, passe la tête dans le couloir, la voie est libre, alors en deux enjambées il est dans la chambre, qu’il referme sur lui. L’endroit est irréel. C’est une chambre d’adolescente. Propre et ordonnée, ornée de babioles et de petites peluches à dominante rouge et noire, un peu de doré ; tout ça serait presque normal, un peu régressif, certes, mais ça pourrait aller. Par contre les posters de MDK sur tous les murs, et la vitrine de figurines en face du lit qui lui est également entièrement dédiée, là, ça fait un peu trembler des genoux. Surtout que, pour juvénile que soit son allure, la demoiselle qui habite ici semble avoir quelque chose comme vingt-cinq ans. Peut-être un peu plus.

Mais ce n’est pas le moment de lambiner. Sur le lit, elle lui a tout préparé en trois, pendant qu’il se rinçait sous la douche : trois pantalons, trois T-shirt ou polos, trois slips que visiblement elle repasse aussi avec le pli bien au milieu. Elle a l’oeil, il faudrait juste une ceinture parce que le beau-frère doit avoir du bide, mais le T-shirt c’est bon… quoi qu’ayant pris le plus haut sur la pile, il soit mal tombé, celui-ci est un panneau publicitaire pour la marque FBI ; plus voyant, ça clignote. Mais tant pis, si ça se trouve, le suivant fait la retape pour Cochonou et le troisième pour Gossamer. Il n’a qu’à imaginer qu’il revient de loin. Elle a par ailleurs posé une corbeille pleine de chaussettes et soquettes de sport. C’est du 35/38, mais en tirant dessus, il y a moyen de remettre ces satanées bottes sans craindre les ampoules.

– Méca, est-ce que je peux entrer ?

– Oui, je suis prêt.

– Ah, je ne vous imaginais pas habillé en minet comme ça, ou alors c’est que j’imagine trop mon beau-frère, qui est gentil. Mais ça vous quand même ? Moi je trouve quand même. En parlant de minet, il y a mon chat qui vous regarde comme une vache espagnole. Vous croyez qu’il se dit : mais ? Mais ? Mais c’est le monsieur des posters ? Ah non, c’est idiot, il ne peut pas savoir, vous n’avez la tenue. Je vous passe mon casque pour le scooter, moi je mets mon casque de vélo qui fait vraiment trop fille. J’espère qu’on ne nous arrêtera pas pour si peu. Moi je suis prête.

– Alors je suis prêt aussi, il va falloir jouer serré, Spectre.

– Oui, mais maintenant que vous êtes là, je sais que tout va aller comme il faut. Ça vous va bien, Méca.

– Quoi donc ? Les habits de votre beau-frère ?

– Non, tout. Vous. Enfin, ça vous va bien comme tête.

Tant mieux, tant mieux, le fait est que la sienne de tête lui va bien aussi, même si elle est inattendue. Enfin maintenant ça va, elle n’a plus sa jupette à carreau et son petit kiki de gamine attardée. Elle a un visage un peu fermé, un peu triste, mais il est au-delà de la délicatesse escomptée. Elle a passé un jeans, un pull un peu court qui laisse voir son ventre et porte un sac de surplus militaire à l’épaule, il retrouve le dynamisme sportif de La Spectre Noire. Il tape dans ses mains, c’est le signal de départ. Elle lui désigne les casques sur un petit buffet dans l’entrée, et s’accroupit pour embrasser son chat qui louche. Pour les casques, pas de miracle : le casque de vélo fait fille parce qu’il est rose, alors que le casque intégral non : il est noir avec un énorme sticker Hello Kitty. Donc ça va. Vanina Celesti habite un immeuble très modeste de la rue Inckermann, visiblement pas seulement pour sa couverture, elle a l’air d’y vivre. Avec son chat qui louche. Comme le traitement de justicier est plus qu’honorable, surtout avec les primes d’arrestations, et d’éliminations, qu’elle a cumulées depuis son entrée en fonction, elle n’a pas dû savoir comment « blanchir » son statut réel dans son statut fictif. Ou alors elle donne tout à quelques nécessiteux, elle a bien la tête à ça. Après quand on sait ce qu’elle est capable de faire, elle peut bien avoir la tête à un peu tout.

Le scooter, Hello Kitty aussi, est garé devant son allée. Le tapissier en bas de chez elle, fume sur le pas de sa porte :

– Ah, voilà la belle Vanina… alors ?

– Alors toi-même ? C’est dimanche, tu ne devrais pas être chez toi à te reposer ?

– Ah, tu sais quand il y a du travail…

– Tu vas te tuer à la tâche, Francis, et après ben…

C’est une phrase beaucoup trop compliquée à finir, trop dans la spiritualité, du coup le suspens c’est bien. Et puis, ça permet de bien profiter du regard que ce monsieur d’un autre temps pose sur cette gamine, et surtout sur le vieux schnock qui l’accompagne, et qu’il n’a jamais vu dans le coin. Et puis c’est qu’ils ont l’air de bien se connaître, les deux. Regardez le moi qui monte sur le scooter derrière elle, et elle qui lui attrape les mains pour qu’il s’accroche à elle.

– Non non, pas juste posées sur les hanches, vous vous agrippez, et vous serrez, sinon je ne vais pas oser rouler.

Francis le tapissier secoue la tête, l’air de dire « mais quel empoté celui-là », alors, Jean-Georges verrouille ses deux mains l’une à l’autre sur le ventre de la jeune femme et elle démarre.

Direction son atelier aux Buers qui dans un premier temps va échapper aux radars de la police, leur permettre de souffler un peu et d’avoir un plan plus large. L’idée de serrer fort la jeune inconnue devant lui finalement s’impose, parce qu’elle conduit comme elle vole. Ça va, mais ça ne va pas de soi. D’autant qu’il doit lui crier l’itinéraire à l’oreille, et que quand c’est tout droit, il faut lui dire « tout droit » tous les vingt mètres sinon elle décélère et se met en attente. Il faut être sur le coup, parce que leur petit équipage ne passe pas inaperçu, tant s’en faut. Et ça a été pareil dans la rue, dans le métro tout à l’heure. Outre que la Spectre Noire est aussi remarquable en civil qu’en justicière, leur air hébété, leur panique est lisible à des mètres à la ronde. Même casqués de rose. Et ce n’est pas tant la fuite qui les abasourdit, c’est la certitude que leur vie telle qu’ils l’ont vécue est finie. Jean-Georges Rodriguez n’a pas la moindre idée de comment La Spectre est arrivée à le localiser, et non plus pourquoi elle a choisi, si elle l’a choisi, d’intervenir en civil. Mais c’est comme ça que ça s’est passé. Et c’est là-dedans qu’ils sont embarqués. Dans la cellule, les flics allaient entrer, il y avait cette gamine habillée en collégienne qui n’attendait qu’un mot de lui. Alors il a soufflé :

– Spectre ? Sortez-nous de là.

Elle a touché un mur qu’elle a rendu intangible et lui a fait signe de rentrer à l’intérieur. Et c’est ce qu’il a fait. C’est très spécial comme expérience, mais on ne sent rien, on est juste passé à travers, et on se retrouve dans un autre espace. En l’occurrence, ça a été un parking souterrain, celui de la résidence baoubaou qui jouxte le commissariat. Dès lors, il y a eu la pente d’accès à grimper, le portail métallique à dématérialiser, et la sortie au grand jour du cours Émile Zola. La station Gratte-Ciel était la plus proche, mais repassait devant la police, alors en marchant vers Flachet, les priorités sont apparues.

– Il faut qu’on trouve un moyen de se changer, Spectre.

– J’habite entre Charpenne et République.

– Oui, mais ça, c’est chez vous. Je ne peux pas venir chez vous, Spectre.

– C’est MDK, qui ne peut pas venir chez moi, non ? Et puis vous ne sentez pas très bon.

– Oui, je dois puer, je m’en excuse, j’ai eu une nuit difficile.

Et là, pour la première fois depuis son apparition, elle a été reconnaissable. Elle s’est mordu la lèvre inférieure. Elle s’est trouvée inappropriée. Peut-être blessante même. Alors que non, objectivement, pour la discrétion, une odeur comme ça, hormis en immersion éthologique dans une famille de putois, ce n’est pas concevable. La dignité qu’il a fallu à cette môme dans le métro pour endurer les regards de gênes du seul fait qu’elle soit accolée à ce vieux malpropre, sachant qu’elle avait déjà sa gêne propre à gérer, en plus du sentiment d’avoir foutu en une seule fois, en quelques secondes, une décision, deux vies en l’air.

L’atelier de Jean-Georges Rodriguez est totalement anodin, gris sur gris, mais très exposé, parce que surplombé par une barre d’immeuble avec vue.

– N’attachez pas votre scooter, Spectre, on va le rentrer à l’intérieur. Vous pensez que vous pouvez nous faire passer par le côté ? C’est un bête mur de béton.

Évidemment, elle peut, il est peu de chose qu’elle ne puisse. Elle le suit et maintient sa main en contact avec le mur qu’il lui désigne, alors ils entrent et elle « referme » derrière eux. L’intérieur est impressionnant. Un bureau gigantesque disposant d’un petit salon, anormalement luxueux, et d’une bibliothèque sur tout un pan de mur. Jamais Vanina Celesti n’a vu un lieu pareil, aussi noble ; l’atelier est dans la pièce à côté, grand aussi, très propre, et se prolonge visiblement en sous-sol, une vraie MDK-cave. Jean-Georges Rodriguez se hâte d’aller à la porte neutraliser l’alarme, et rentre le scooter :

– Posez vos affaires dans mon bureau, Spectre, on remontera pour se changer, si besoin. Et je crains qu’il y ait besoin en effet. En attendant, je tâche de nous trouver quelque chose à grignoter et à boire, et on va s’installer en bas. C’est moins confort qu’ici, mais au moins on est sûr qu’on ne nous verra pas de l’extérieur. Et puis…

– Et puis ?

– Et puis je vous montrerai. C’est parti pour qu’on se montre tout maintenant.

– Ah bon ?

– Oui, pas tout… bon, est-ce que vous avez faim ?

– Vous voulez qu’on commande des sushis ? J’ai une très bonne adresse.

– Non, ça, on ne peut pas. En fait, on va devoir mettre votre téléphone dans un caisson que j’ai en bas. Et ce n’est pas une punition, c’est juste pour le cas où la police tenterait de le localiser.  Si je fais des pâtes, ça vous irait, je crains de ne pas avoir beaucoup plus de choix ?

– Oh, je peux les faire si vous voulez, j’ai une recette vous m’en direz des nouvelles. Mais il faut que vous ayez du ketchup et du jambon.

– Ce sera une autre fois, j’espère déjà avoir du beurre dans mon petit frigo.

– D’accord, une autre fois. Rendez-vous est pris pour la revanche.

La casserole d’eau sur le feu, Jean-Georges tape un autre code pour accéder au sous-sol, présente son iris à un scanner au mur, et doit encore tourner deux clés dans deux serrures différentes. La porte s’ouvre, blindée et épaisse comme celle d’un coffre, et la lumière se fait sur un escalier métallique qui descend jusqu’au beau milieu d’une vaste pièce, où sont ordonnés en U des établis et des plans de travail sur trois murs, un escalier pour descendre d’un niveau supplémentaire au centre, et tout le long du quatrième mur, un bureau de quinze mètres d’un seul tenant, avec écrans et ordinateurs.

– Mais c’est là que vous travaillez, Méca ?

– C’est là que je conçois et que je teste mes armements oui. En dessous, il y a mon stand de tir, et ici, juste devant vous, le tunnel qui permet de sortir discrètement.

– Moi, j’ai fait les chambres à l’hôtel Ibis pendant deux ans, mais je n’y arrivais plus, d’enchaîner avec nos nuits de garde. Et puis j’ai trop raté de « réveils » quand nos missions tournaient mal. Du coup, je suis au chômage, et ma conseillère pôle emploi, elle se tire des plombs avec moi. Elle ne comprend pas mes contraintes. Vous ne cherchez pas une femme de ménage ?

– Mais, et vos émoluments du BIOS ? L’argent qu’on vous donne pour être La Spectre Noire ?

– Je n’y touche pas. Vous m’avez dit de faire attention à toutes les dépenses ustensiles.

– Ostensibles ?

– Peut-être. Mais je ne sais pas faire attention à ça. Alors je fais attention tout court.

– D’accord, je comprends ; je vous montrerai des combines. C’est vrai qu’au BIOS on n’a pas de Comité d’Entreprise, ni de formation à l’insertion et à l’optimisation fiscale pour les nouvelles recrues.

– Et il n’y a pas de sèche-cheveux dans les vestiaires.

– C’est vrai aussi. Promis, si nous réintégrons le BIOS un jour, je mettrai ça à l’ordre du jour.

– Parce que vous pensez qu’on est viré ? À cause de moi ?

– Non, pour l’instant personne n’est viré. On va trouver une solution, Spectre, pour que rien de ce qui nous concerne présentement, et qui finalement ne concerne que nous, n’arrive aux oreilles des autres. Mais le plus important c’est que nous nous sommes mis hors-la-loi tous les deux. Et que la police nous recherche. Et que si la police nous recherche, vous pouvez être sûre que la Guéparde, Libelluleet toute la clique vont se mettre à nos basques aussi. Et avec d’autres moyens d’investigation, croyez-moi.

– Oui, mais eux, ils ne peuvent pas nous trouver, puisqu’ils ne nous connaissent pas. Enfin, en vrai.

– Oui, et c’est pour ça que ça nous laisse un peu d’avance aussi sur eux. On va manger un morceau, on va se retaper, on va souffler, et vous allez me raconter tout.

– Tout ?

– Oui, tout depuis hier soir où nous arrivons à cette soirée déguisée et où ensuite, moi, j’ai encore des trous dans l’emploi de mon temps. Et par suite, comment vous me retrouvez dans cette cellule. Comment vous avez enquêté, parce que si vous m’avez retrouvée, tout le monde peut me retrouver.

– Non pour le coup… et ce n’est pas pour me vanter. Au contraire, je pense que quand vous saurez, ça ne va pas vous plaire du tout.

– Et pourquoi ça ne me plairait pas ?

– Parce que je vous ai menti, Méca. Enfin je vous ai caché quelque chose. Un autre pouvoir que j’ai.

– Bon, on va partir de ça. Je suis sûr qu’à nous deux on va dénouer ce sac de noeuds. Je monte vite mettre les pâtes dans l’eau, et vous me racontez.

– D’accord… dites ?

– Oui ?

– Vous vous appelez comment ?

– Je m’appelle Jean-Georges.

– Oh ? Je peux continuer à vous appeler Méca encore un peu ?

– Oui, et vous c’est Vanina, c’est ça ?

– Oui, Vanina Celesti.

– Et bien, enchanté, Vanina Celesti.

– D’accord.

Ailleurs

Ailleurs

Il arrive cependant qu’on m’envoie ailleurs
parer à l’absence ou les oublis d’un chauffeur
et tourner à sa place l’anti-manivelle
de route qui dévide du gosse à la pelle

et en flanque encore quelques-uns à l’arrière
de mon camion. Les passants en gardes-barrière
de leur propre trafic à soucis font partout
un cordon sanitaire au miroir assez flou

de notre traversée des globes. Les enfants
du jour s’en remettent au protocole autant
que les miens : les éruptions de ces décorums

sont portions d’une tectonique de barnum
dont je serais un Monsieur Loyal cafardeux.
Mes petits me manquent et ça tare l’air un peu

Projet de fiche personnage : Gabrielle Laura marie Kotska, dite Gaby

Gaby, comme ses prénoms de naissance l’indiquent un peu, est née dans une famille de fans de Johnny – et s’il reste un doute, son frère s’appelle Diego. Elle a eu une brève carrière de combattante de MMA, forcément brève, puis un destin de guerrière, bref aussi, mais qui l’a élevé au rang de Major de l’armée régulière, et enfin a pu commencer une préretraite à moins de 40 ans en embrassant la carrière de détective assermentée. Puis de shérif. Elle apparaît dans le tout premier volume de la trilogie « par la racine » (la poursuite de la femme au chapeau à plume – sortie en juin 2022), alors qu’elle n’a pas commencé le CV cité plus haut, en servant des limonades et en volant à l’étalage le cœur de Nana Kowitz. Dès le volume 2 (l’homme à la chemise verte – sortie en juin 2022), elle prend de l’ampleur et des responsabilités iniques dans la petite tribu débile, jusqu’à être décisive et particulièrement saignante dans le volume 3 (Terre d’oiseaux – sortie décembre 2022). Ensuite, c’est elle qui devient le personnage principal des récits suivants (La vie en rose – sortie septembre 2023 et Où la lune va – sortie décembre 2023), et sans conteste un de mes personnages préférés. Librement inspirée de Rose Namajunas et Robert Mitchum.

Son Karma : Taciturne, Intrépide, Cabossée, Ardente, Rit quand elle se brûle.

Vanina Ah Ah §20

Le commandant Cellor vient tout juste d’atteindre la bretelle d’accès au périphérique, quand enfin son téléphone sonne entre ses genoux.

– Houard ? Alors, comment vous avez géré les hystériques du cirque Pinder ?

– À vrai dire, je crois qu’ils sont ingérables, et que c’est leur gros avantage.

– Ils sont repartis ?

– Non, ils sont encore là. Leur grosse bagnole est en rade. Ils attendent une dépanneuse. Et à mon avis, ils en ont pour la journée. Déjà, à cause du gabarit hors norme de leur tagazou, et ça c’est bien fait pour leur gueule. Et puis c’est dimanche. Et ça…

– C’est bien fait pour leur gueule. Vous ne leur avez rien dit ?

– Non, mais à vrai dire, je ne comprends pas ce qu’ils veulent. Je ne sais pas ce qu’ils foutent là. Je crois qu’il y a un malentendu à cause des costumes des gamins et gamines impliqués dans le drame de la rue des Prés. Je ne sais pas ce qui leur est arrivé aux oreilles.

– Vous me parliez d’une piste ?

– Oui, je vais tâcher de reprendre le fil, et Lerdon échantillonne des traces probantes dans l’escalier et l’allée ; je vous en parle dès que j’ai quelque chose.

– Moi, je n’ai rien. Nada. La maison de Rodriguez est un vrai bunker. Je pense que je vais me fendre d’aller voir sa mère qui n’est pas très loin d’ici, dans le troisième, et lui demander une visite guidée. Mais d’abord, je file chez la môme Celesti. Je suis sûre qu’ils sont ensemble.

– Ensemble ? Vous voulez dire…

– Non, pas ensemble ensemble, comme des tourtereaux… vraiment, la Miss ce matin au tapissage, elle avait l’air de ne pas le connaître, et je ne pense pas qu’elle soit très apte à feindre. Mais ils sont ensemble quelque part en ce moment, et là, je dois dire que ça ne m’échappe pas qu’un peu. Comment voyez-vous la chose ?

– Déjà, je ne vois pas comment ils ont pu se rencontrer, se retrouver… en avoir l’idée seulement. Et concevoir et réussir une évasion. Le Rodriguez a l’air d’un fieffé filou. Mais elle ? Sauf à imaginer qu’il l’a enlevée… mais même ça, comment il aurait fait ? Ou alors il y a la solution extraterrestre. Vous savez ces histoires d’enlèvements en soucoupes.

– Ne rigolez pas, je pense sérieusement à quelque chose d’un peu dingo, pas exactement de que vous dîtes, mais quelque chose de pas si éloigné. Vous avez vu les zinzins du BIOS, ce dont ils sont capables ?

– Oui, j’ai eu une démonstration. C’est assez stupéfiant. Mais pourquoi des gens comme ça, qui sont quand même, à leur manière, institutionnels, voudraient enlever une gamine teubée et un vieux renard ? Et s’ils les ont, pourquoi les cherchent-ils jusqu’ici ?

– C’est peut-être la concurrence qui a fait le coup. En fait, on ne sait pas trop comment s’organisent ces gens. C’est vrai qu’ils ont des airs un peu ronflants, mais justiciers, héros, vilains, ce sont juste des gangs. Ou alors ce n’est pas le BIOS, ce n’est pas non plus la concurrence et en ce cas…

– En ce cas ?

– Non, c’est grotesque… une intuition grotesque. Bon, Houard, je vous laisse, je vais quitter le périph’ ; si ça roule bien, je suis devant chez la petite Celesti dans un quart d’heure. Je n’aime pas trop savoir que les acrobates du BIOS sont encore dans votre secteur. Gardez-les à l’oeil.

– Ça va, je crois qu’ils se sont neutralisés tout seuls.

Et le fait est que ça boude dans le clan des justiciers masqués. La Guéparde fume clop sur clop, et même avec son fume-cigarette de Greta Garbot, ça fait moins diva que névrosée bas de gamme. Elle est assise sur la taule martyrisée de son tank, et paraît inabordable. Le grand gamin fautif  boude dans son coin, avec son casque, il se tabasse de musique en faisant les cent pas d’un côté de la ruelle à l’autre. Houard aperçoit, travaillant dans l’allée, Lerdon et son stagiaire, alors il les rejoint :

– Vous avez quelque chose ?

– On a des relevés massifs. Mais les analyses sont à venir. La traînée continue loin ?

– Je suis dessus, mais j’ai été interrompu par la famille Tapedur. Justement, puisqu’on en parle. Restez sur vos gardes avec eux. Sans vous tenir prêt… Si, en fait si : tenez-vous prêts. Je vous laisse prévenir les gars là-haut ?

Lerdon soupire, ça vaut un acquiescement. Et d’ailleurs, le stagiaire grimpe déjà dans les étages pour passer la consigne.  De retour dans la rue, Houard retrouve la trace. Ce n’est pas évident d’être sûr. En plus maintenant que le Hummer a roulé sur le peu de tangibilité de ce qu’il suivait. Teflon est au milieu, barre presque la rue à lui tout seul côté droit. À gauche, de toute façon il faut vérifier aussi le talus, si ça se trouve ça va bien amener à une partie bitumée, plus facile à « lire ». De fait, il y a peut-être bien aussi de reliquats de gouttelettes dans cette direction. C’est le cas, dirait-on. Il y en a même plus qu’en allant de l’autre côté vers le croisement. Le talus longe le mur d’enceinte d’un pavillon gris terre à deux étages ; les collègues n’ont pas eu de réponse en sonnant ce matin, et ensuite, se prolonge le long de la grille qui ceint un entrepôt ou un local d’activité. Autant dire que ça ne mène nulle part. Le gars qui a suinté cette trace-là a dû récupérer sa voiture et filer. Et une fois que ça, ce sera acquis, on n’aura rien appris de plus.

Mais Houard s’arrête net devant le petit portail de la maison. Pas celui à deux battants qui donne directement sur le garage. Le petit juste à côté, avec la boîte à lettres et la sonnette. Il est éclaboussé, au moins autant que la porte d’allée de l’immeuble d’en face, et, par la grille, Houard reconnaît la trace qui atteint la porte de la maison. Il se recule. C’est en train de devenir bizarre au-delà du bizarre, cette affaire. Il revient sur ses pas, redescend la piste, jusqu’au moment où elle traverse la rue, pour vérifier. Et pourtant oui, il semble qu’elle parte aussi du côté du croisement comme il l’avait pensé originellement. La Guéparde et Teflon, chacun dans son coin, chacun à sa façon, le regardent s’abîmer en perplexité, mais au moins ils ne bougent ni l’un ni l’autre. Alors il passe devant eux et directement à l’intersection. Et là bingo : sur le trottoir qui part à gauche, la trace est là aussi. Pas en gouttelettes, ni en éclaboussures, plus en traînées. Et en zigzag, elle a l’air d’aller loin droit devant. Et loin droit devant, il n’y a rien. Juste une zone d’activité.