Vanina §19

§19

Voilà, comme prévu, sa présence dans cet appartement ne sert à rien, n’est même pas un peu opportune. Au contraire, il gêne. Enfin, il ne gêne pas, mais c’est ce qu’on lui fait comprendre ; même là, alors qu’il s’est isolé dans la chambre où ont eu lieu les viols des deux gamines, et où plus aucune équipe n’intervient, même là, il gênerait. Et encore, c’est pour le mieux. Pour le pire, il y en a un ou deux qui se foutent presque ouvertement de sa gueule. Et qu’est-ce qu’il est venu faire sur le terrain le Houard ? Et regardez-le qui s’isole sur la scène de crime, genre il est devenu profiler, le Houard ? Ça tient beaucoup au très mauvais esprit de Fabi Lerdon de la scientifique avec laquelle il a un dossier qui est parti pour rester ouvert jusqu’au premier des deux qui meurt. C’est nul, je te jure. Oui, il aurait pu y avoir « glissade », et oui il s’est dégonflé. Et oui encore, il s’est dégonflé alors que de base, elle n’avait rien demandé, et qu’elle s’est laissée gagner petit à petit par l’idée de la glissade suite à sa cour assidue. Et non, elle ne s’est pas laissée gagner à l’usure. Et oui, il a raté une occasion, en se dégonflant au dernier moment… est-ce que tout ça, ce n’est qu’affaire d’occasion ? Est-ce qu’on est sur leboncoin ?

Bon, c’est vrai que d’un autre côté, elle, à l’époque, elle était célibataire. Et lui déjà papa, avec la deuxième en route. Oui Bon. Mais c’est vrai aussi qu’elle est capitaine aujourd’hui. Capitaine Lerdon. Et que lui c’est toujours lieutenant L’air con. Elle a maigri Lerdon, ça se voit même avec sa combinaison de travail. Ce n’est pas une combinaison ce truc, c’est un sac à vomi. Personne ne ressemble à rien là-dedans. Mais quand même, elle a perdu. C’est vrai qu’elle avait pris des joues. C’est vrai que ça lui allait plutôt pas mal, et qu’en plus ça profitait à ses tétés déjà bien dans le profit de base. Mais elle n’avait plus de cou. C’était bizarre. Ce n’était pas un pélican non plus, ni Édouard Balladur, mais c’est comme si elle avait tout le temps la tête rentrée dans les épaules. Là, ça va mieux. Alors ce n’est pas la gamine Celesti, mais la gamine Celesti est hors concours de toute façon. Et n’empêche que c’est un bel effort. Voilà, il est fair-play, Houard, au moins. Dégonflé, mais avec le tampon « Coubertin ».

Ça ne sert pas en grand-chose qu’il reste dans cette chambre. Tout a été embarqué, même le matelas, et même le sommier à lattes. Ils ont tout démonté, et tout embarqué au labo. Il reste le cadre de lit. Et une vague auréole au sol, reliquat d’une flaque qui s’est évaporée. Mais dont on l’a averti de ne pas s’approcher sans masque. L’immonde ordure qui a sévi ici cette nuit a littéralement inondé le lit de GHB. Il a dû asperger les filles, peut-être essayer de les noyer. Du coup, ça pose des questions d’importance, outre celles de la fourniture, de la dissimulation, du transport et de l’usage discret de telles quantités, qui sont déjà des choses qui peuvent lanciner un peu. Mais une fois ceci posé, comment, lui-même, l’immonde ordure, a-t-il pu se garder du contact du GHB, alors qu’il y en a littéralement partout. Jusqu’au plafond. Et question subsidiaire, et on n’est pas profiler, mais si ceci est un mode opératoire, s’il y a des précédents, on devrait pouvoir les retrouver dans les bases de données… ce n’est pas subtil : on tape « viol + Overdose + GHB + quantités colossales + Spectre Noire + Cosplay » et il risque de n’y avoir que de grosses occurrences bien fluo et bien clignotantes à recouper.

Son téléphone sonne à nouveau, et c’est à nouveau la patronne. Il ne pourra pas faire le mort trop longtemps non plus, parce qu’il n’en sortira rien de bon pour lui. Elle ne cède pas au chantage la patronne, et au caprice encore moins. Mais bon, il ne peut pas non plus abandonner si vite, sinon ce serait vraiment se montrer sans détermination. Alors cette fois-ci, il ne répond pas, mais la prochaine fois, oui.  Ça fera quoi ? Une heure et trois coups de fil ignorés ? Ça va, ça pose un caractère. Il aperçoit, sortant de la salle d’eau juste à côté, le brigadier Jeanmaire qui a coordonné l’enquête de voisinage. Ce con obséquieux a daigné lui en faire un retour avec un peu de détails. Mais ce n’est pas grand-chose : le voisinage direct, averti de longue date de la fête, ayant déserté les lieux pour le week-end, ne restait plus dans l’immeuble qu’une mamie au deuxième qui, ayant enlevé ses sonotones, a pu passer une nuit normale et n’être témoin de rien de particulier. Sinon, un des gars de la colocation du rez-de-chaussée à une inscription au casier pour attouchements et exhibitionnisme, mais sa soirée et sa nuit sont dûment fléchées : il était déguisé en Hulk et n’a quasiment pas quitté la petite piste de danse improvisée, où il a encaissé vaille que vaille râteau sur râteau  jusqu’à la découverte du drame et la fin corollaire de la fête. Mais à sa décharge, ça doit être dur de pécho quand on est peint en vert. Le vieux d’en face sur le palier a été difficile à réveiller, et d’assez mauvaise humeur. Mais il a appelé la police trois fois avant 22h00 pour se plaindre du tapage. En vain. Et l’a eu mauvaise que la police vienne en plus lui demander des comptes sur l’emploi de son temps.

Sinon, la rue est peu habitée, le quartier de même. Et les gens ont bien vu, ici, la silhouette de Batman se profiler sur un mur à l’aplomb d’un lampadaire, là, le Mandalorien tituber en quittant la fête, là encore, Daredevil et la Libellule se peloter dans un buisson… enfin rien de probant. Un samedi soir de zozos cosmiques en somme. Restent les convives dont il est, pour l’instant, impossible de dresser la liste. Le propriétaire organisateur de la sauterie l’a dit justement du fin fond de sa gueule de bois :

– Quand vous lancez les invitations, vous ne pouvez déjà pas compter ceux qui viennent à coup sûr. Mais une fois que c’est lancé, vous ne pouvez plus rien faire, et tant pis si ceux que vous ne comptiez absolument pas sont là quand même. C’est trop tard. Il y a ceux qui viennent avec des potes, il y a ceux qui s’incrustent, vous savez, tout le monde était déguisé, et à part l’autre enfoiré, tout le monde s’est plutôt bien comporté. Mais moi je ne suis pas sûr que je connaissais la moitié des gens chez moi. Pour vous dire, je ne connaissais aucune des deux filles qui…

C’est un homme effondré que décrit Jeanmaire et dont on ne pourra pas tirer grand-chose tant qu’il n’aura pas remis les mains sur son cerveau. On a une certitude néanmoins, c’est qu’il ne connaît pas de Vanina Celesti et de Djone Smice encore moins, et qu’il n’a pas idée de comment les deux se seraient retrouvés chez lui. Le fait est que Jeanmaire ne sait pas comment procéder, et que c’est peut-être là que Houard pourrait réellement se rendre utile. Il suffit de demander à chaque convive de lister les superhéros présents, combien de spidermen, combien de MDK, combien de Casimir, et ainsi de suite. Il y a moyen d’avoir une liste exhaustive et ensuite de la refaire circuler aux mêmes pour que tous les témoins identifient ceux qu’ils connaissent. Il n’y aurait pas tant d’inconnus avec un peu de méthode. Mais il va peut-être laisser Jeanmaire dans sa crasse, on est censé savoir où le trouver quand on a besoin d’aide. Ou peut-être pas. Tiens d’ailleurs voilà la Capitaine Lerdon qui rapplique dans les froufrous de son affreuse combinaison. De quoi a-t-elle besoin, elle ?

– Houard ? Téléphone ; ta patronne. Ce serait bien que tu lui répondes quand elle t’appelle, je peux avoir besoin de mon téléphone pour faire mon travail. Et je ne suis pas ta standardiste.

Et elle lui jette son smartphone dans les mains, avant de s’en retourner vers son équipe.

– Patronne ?

– Houard ? Vous ne déconnez pas un peu ? Quand je vous appelle, vous répondez.

– Vous m’avez appelé ? Ah oui, je découvre ça oui.

– Vous découvrez, oui… refaites-moi un coup comme ça, et vous allez découvrir ce que c’est d’être muté au quartier. Bon, ils sont avec vous ?

– Qui ?

– Ne me dites pas qu’ils ne sont pas avec vous… Celesti et Rodriguez, les deux qu’on devait confronter. Vous savez Celesti … cui cui cui ?

– Pourquoi seraient-ils avec moi ? Vous les avez perdus ?

– Oh bordel, oh bordel, oh bordel.

– Quoi ?

– Ils se sont évadés.

– Les deux ? Ensemble ?

– Oui non, hein ? Ce n’est pas possible, hein ? Pourtant si, on ne les a plus. Bon cloaca maxima donc… qu’est-ce que vous faites, là, présentement ?

– Ce pour quoi vous m’avez envoyé ici. Je supervise. Et franchement, il y avait urgence. Parce que vous avez besoin de moi ?

– Non. Et vous, de quoi avez-vous besoin ? Qu’est-ce qu’il vous manque ?

– Il me manque la main sur le travail qui est fait ici. Ce n’est pas que Jeanmaire est nul, mais… si, il est nul. On ne sait pas à l’heure qu’il est qui aurait invité Vanina Celesti à cette fête, alors que quand on le saura, on en saura plus sur le célèbre John Smith.

– Et le GHB ?

– J’ai dégrossi, mais tout est aberrant dans cette histoire de GHB. Il y a vraiment un truc qui ne tourne pas rond, patronne.

– Bon, j’appelle Jeanmaire, pour qu’il vous laisse les commandes. Moi, je fais demi-tour, je vais peut-être trouver nos deux évadés chez eux. Répondez au téléphone quand je vous appelle, et ne vous attendez à ce que je vous laisse tranquille. Entendu ?

– Entendu.

– Autre chose… avez-vous contacté des gens du BIOS, ou de l’ancienne Commission Européenne, ou avez-vous simplement projeté de le faire, ces jours derniers ?

– Le BIOS, ce sont nos bien ringards justiciers masqués locaux ? Votre question m’échappe du coup. Pourquoi est-ce que j’aurais fait une chose pareille ?

– Je ne sais pas.

– Pourquoi cette question alors ?

– Oui, non, vous avez raison, c’est idiot. Pourquoi de même auriez-vous sorti Rodriguez et Celesti de leurs cages sans mon autorisation ? Je devrais connaître depuis le temps la haute bénignité des choses que vous êtes en mesure de faire dans mon dos. Bon, je retourne à Villeurbanne. Et ne me lâchez plus.

En rapportant son téléphone à Lerdon, il dégingande au maximum sa démarche, il sifflerait presque, mais ça ne trompe pas la jeune capitaine, non plus que sa petite équipe en combinaison. À goguenard, goguenard et demi, il pose sa voix en coin de bouche et articule à peine :

– Merci pour le turlu. Est-ce que vous avez pensé à faire des relevés dans l’ascenseur et la cage d’escalier ? Je ne parle pas de relevés d’empreintes évidemment, mais de GHB, je ne serais pas étonné que vous en trouviez une traînée, comme la bave d’un escargot. Faites-le, quand vous aurez fini ici, s’il vous plaît. Et  tenez-moi informé dès que vous savez.

On ne peut pas moins bien faire savoir sans le dire qu’on vient de prendre la main. Il est comme ça, Houard, il voit beaucoup de films, et il ne sait rien faire d’un peu valeureux sans gâcher tout avec son arrogance mal assurée. L’équipe en blanc soupire, encore une idée à la con, qui ne fera pas date dans la grande histoire des idées à la con. Mais c’est Lerdon elle-même et son stagiaire qui s’y collent. Ils suivent le pas traînant de Houard jusque sur le palier. Et pendant que le stagiaire appelle l’ascenseur, des éclaboussures et dégoulinures sèches attirent immédiatement toutes les attentions. Il y a une traînée évaporée effectivement, et celle-ci prend l’escalier pour descendre. Pas si con, le Houard ; il y a des reliquats transparents, mais brillants sur le mur aussi, comme on s’y serait appuyé :

– Finalement, il y peut-être de l’empreinte palmaire, là-dessous. Tu penses que ton équipe peut se mettre prioritairement sur le coup, capitaine ?

– Ouais ouais, on va faire ça, lieutenant.

Le lieutenant Houard a des ailes. Il met la main sous sa veste et touche le carbone de la crosse de son arme. Son coeur bat un peu fort en dessous, c’est presque exaltant. Il descend au deuxième et la trace continue, tantôt giclée, tantôt égouttée, et elle descend encore, jusqu’à la porte d’allée. Ensuite, il y a une bande de terre battue et de caillasses qui a bu ce qui ne s’est pas évaporé, mais ça doit reprendre sur le goudron de la rue. C’est le cas, ça passe sous une voiture et ça traverse. De l’autre côté, ça se perd dans un bas-côté fait d’herbe et de canettes, de mégots et de papiers. En longeant le mur, il va forcément retomber sur une trace. À droite, il y a tout de suite un croisement avec une rue tout à fait civilisée, s’il a de la chance, ça repart par là-bas.

Courbé et scrutant le sol à chacun de ses pas, distinguant peut-être là une goutte sur une feuille, peut-être une auréole sur une pierre, il arrive comme ça jusqu’à l’intersection à l’instant où une énorme voiture noire fait crisser ses quatre pneus pour s’arrêter à pas un mètre de lui. Ça, ça n’arrive pas ici par hasard… soit ce sont des petites cailles de la cité d’à côté qui ont senti la flicaille, soit… la fenêtre conducteur s’ouvre et une espèce d’adepte du SM-cuir, mais jaune à pois noirs, montre son museau et plisse les yeux pour lire la plaque de rue :

– Rue des Prés, on y est. Pardon Monsieur, vous pouvez m’indiquer le 4 ?

– Vous y êtes, c’est cet immeuble-là. Mais je crois que la police a barré l’accès.

– C’est ce que nous allons voir.

Elle doit faire une petite manœuvre en marche arrière pour tourner dans la rue, et elle n’a pas le compas dans l’œil, parce qu’elle s’y reprend à deux fois, mais bon c’est un tracteur, sa bagnole. Sitôt mieux engagée dans la rue des Prés, elle se range sur le côté le long du mur. S’il y avait des traces à retrouver là, elle a roulé dessus, sans vergogne. Mais Houard laisse faire. Puisqu’elle n’est pas estimée qu’il pouvait ressembler à un flic, finalement, il n’est pas flic, il est au spectacle. Et il n’est pas déçu. De la porte passager, un mastodonte se désincarcère plus ou moins déguisé en poisson-papillote, et à sa suite la bombasse compassée, moulée, mais très très moulée… trop moulée dans une combinaison… non, mais ce n’est pas possible, ça lui rentre dans le frifri, ce n’est pas un vêtement, c’est un plastique qu’on a dû lui couler en fusion dessus. Pathétique, indécent, tellement morue… elle dit au grand costaud de l’attendre là, et fffuiiit en un éclair, elle entre dans l’immeuble.

OK, la patronne a failli l’avertir, et elle aurait dû le faire. Toujours le nez au sol, il prend son téléphone, et le commandant Cellor répond à la première sonnerie.

– Houard ? Je viens d’arriver devant chez Rodriguez. Pas de signe de vie à l’intérieur. Bon, pas de signe de vie tout court, mais bon c’est très banlieue, et c’est très dimanche. Et de votre côté?

– De mon côté, rien de spécial. Ah si ! j’ai les superhéros du BIOS qui viennent d’arriver. J’ai failli oublier. Vous comptiez m’avertir quand qu’ils devaient débouler ici ?

– Je ne savais pas qu’ils vous trouveraient… Oui bien sûr, je comprends votre contrariété. Parce que, contre toute attente, visiblement ils vous cherchent, Houard.

– Ah bon ? Et pour quoi faire ?

– Je ne sais pas, vous me direz ? Ce qu’il faut, quoi qu’ils cherchent, c’est que vous gardiez en tête qu’ils ne sont pas dans leur juridiction. Il n’y a qu’une autorité compétente dans le secteur où vous êtes, et c’est vous. Ne vous laissez pas impressionner par les titres ronflants… et les quelques licences que ces gens-là prennent avec la physique élémentaire. C’est de la poudre aux yeux, vous êtes lieutenant de police. Ne leur dites RIEN. Je compte sur vous.

– OK, de toute façon, ils ne m’ont pas vu.

– Tant mieux. Parce que vous êtes où ?

– Je suis dehors, je suis sur une piste.

– Une piste ?

– Oui, une piste plutôt promet… Ah !!!

La Guéparde dans un sifflement d’air vient pratiquement d’apparaître devant lui. Elle sourit, mais elle fait peur. D’abord, elle est grande, et puis à son âge on ne s’habille pas comme ça, bordel.

– Bonjour ! C’est vous que je cherchais.

– Oui ? Re-Bonjour, on s’est vu tout à l’heure. Enfin juste à l’instant, quoi.

– Lieutenant Houard, vous me connaissez ?

– Oui, comme ça, de vue, vous êtes la Panthère ? Non ? La Couguar ? Non, trop connoté, pardon. Je donne ma langue au chat, à la cha… au chat !

– La Guéparde.

– Oui, quel boulet je suis ! Vous courez super vite. D’ailleurs ouh là là, c’est fou : vous courez vraiment super vite. Mais vraiment.

– Oui voilà, d’où le nom : Guéparde. Mais la personne que vous avez au téléphone continue à parler, à couiner même un peu, et je connais cette voix.

– Oui, mince c’est ma…

Il n’a pas le temps de finir sa phrase, son téléphone disparaît de sa main et se retrouve dans celle de la Guéparde, et déjà contre son oreille.

– Commandant… Coustaud ?

– Cellor.

– Oui Cellor. C’est L’hor de laisser votre aimable lieutenant avoir une conversation entre adultes consentants. Et comme c’est pour public averti, je vais devoir vous demander de ne pas rester là, madame.

– Vous êtes en train de commettre une grave erreur.

– Oui, oui, nanani nanana, je vous raccroche à la gueule. Voilà.

Elle tend son téléphone à Houard et se délecte de le voir serrer les fesses comme ça. Elle sait que la peur le dispute à la gêne et à l’incompréhension. Mais dans un premier temps, se fait un petit plaisir et mise sur la seule gêne. Elle tire sur les pans déjà bien échancrés de sa combinaison et fend un décolleté presque glaçant. Houard recule d’un pas, mais elle est déjà, soudain, juste à sa droite, son visage contre sa joue, et elle le lèche, un grand coup de langue dégueulasse, et dans la même seconde elle est à nouveau devant lui avec un sourire affable, en sorte qu’il est obligé de se toucher la joue pour être sûr :

– Mais c’est dégueulasse ! Vous m’avez léché ? Comme ça ? Mais pourquoi vous faites ça, madame ?

– Pour vous montrer mon côté gentil. On va marcher un peu, prenez mon bras, il faut que vous vous détendiez. J’ai l’impression de vous crisper avec ma gentillesse. Promis je ferai attention. La gentillesse, c’est fini fini fini. C’est mieux ?

– Non, mais vous savez que je suis officier de police ?

– Ah d’accord, sans palier, on enchaîne directement sur la méchanceté ? D’accord.

– Non, mais on n’est pas obligé d’être méchant non plus. Il paraît que vous me cherchez, c’est vrai ça ?

– Oui, c’est vrai.

– C’est bizarre, non ?

– Oui, c’est bizarre. Ah voilà, on arrive, je voulais vous présenter mon ami Teflon. Alors… ce n’est pas vraiment mon ami, mais il est vraiment en Teflon. C’est comme ça, on ne sait pas comment les choses se mettent des fois. Et lui, de toute façon, ce n’est l’ami de personne. D’abord il est con. Mais con, pffff. Et puis il a ses histoires d’humeurs, on ne sait pas les gestes qu’il fait des fois si ce n’est pas de l’athétose, ou si c’est vraiment l’envie de nuire aux personnes.

Elle claque des doigts en direction du grand Teflon, et lui fait signe d’enlever son casque. On bosse quand même, on se réinsère dans la société, mais ça passe par le travail, hein ? Le gamin comprend un peu qu’il faut qu’il s’emploie. Alors il croise ses énormes bras sur son énorme poitrine et fais apparaître, juste le temps de faire peur, son côté sombre, son côté compact. La Guéparde joue sur du velours :

– Alors, lieutenant Houard, est-ce que vous connaissez MDK ?

– Pas personnellement…

– Non, bien sûr.

– Mais je vois qui c’est. En fait, c’est marrant l’enquête sur laquelle je suis, implique… oui non, je n’ai rien dit.

– Implique quoi ? Qui ?

– Rien. Je suis officier de police.

– Oh, ça sent la bagarre. On va y revenir. Est-ce que MDK a lancé un appel de détresse avec votre téléphone.

– Hein ? Vous voulez dire le vrai MDK ? Avec mon téléphone ? Ce téléphone-là ? Non.

– Si.

– Non non.

– Si si. Et sinon, vous me disiez… votre enquête ?

– Je ne vous disais rien du tout.

– Non, mais vous allez me dire, sinon mon « ami » (elle signe les guillemets avec les doigts) Teflon ne va pas être content, et qu’est-ce qu’il se passe quand il n’est pas content, mon ami ?

– Je ne sais pas.

– Et bien il va nous montrer. Tu montres au monsieur ce que tu fais, quand tu es très en colère, Teflon s’il te plaît. oui oui, tu montres. Oui, comme ça, lâche-toi.

Et le jeune homme dans un soupire de soulagement, d’aise, noircit presque entièrement, lève ses deux énormes poings ensemble et les abats dans un fracas industriel… sur le capot du Hummer. Le gigantesque véhicule noir manque de culbuter vers l’avant sous l’impact, toutes les vitres fumées s’émiettent en mille morceaux, et cette pauvre grosse chose rebondit sur ses suspensions dans un bruit de tôle au martyre.

La Guéparde referme son décolleté et souffle dans ses mains qu’elle broie devant son visage : le capot est presque éventré, le moteur est encore accroché, mais pend sous la caisse, l’essieu avant est en V, et on entend des chutes de pièces dans la chute d’huile. Elle regarde effarée Teflon qui est redevenu tout rose et…

– Non, mais pas le Hummer… pas le Hummer… mais putain, Tef’… le Hummer

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