Vanina Ah Ah §10

§10

L’agent Cristo met les pièces que Vanina Celesti lui a données dans le distributeur ; il a fait son rapport le plus rapidement et le plus informellement possible, il doit maintenant retourner  vers la jeune femme. Le commandant Cellor, le comprend :

– Vous avez peur qu’elle s’inquiète ? Ou qu’elle fasse une bêtise ?

– Allez savoir, Patronne. Je n’arrive pas à me faire une religion, et j’avoue que je n’arrive pas à la cuisiner. Ou alors c’est que c’est trop facile et que je n’arrive à prendre pour argent comptant rien de ce qu’elle peut me raconter. Si ça se trouve, elle m’a balancé, le fin mot de l’histoire sans le vouloir, elle me l’a livré sur un plateau, et je ne l’ai pas détecté au milieu de tous les fins mots de toutes les histoires qui constituent l’essentiel de ses propos. Elle ne hiérarchise rien, dirait-on.

– Oui, j’ai remarqué ça.

– Et vous avez remarqué comme c’est contagieux ? C’est un petit Jésus, cette môme. Elle vit dans quelque chose de tellement bisounoursal qu’on a envie d’en être. Un moment, je l’écoutais, et j’essayais de la prendre au mot, enfin de prendre ses errements au sérieux, un peu comme des lapsus. Et je me suis dit, si ça se trouve, cette gamine, c’est la vraie Spectre Noire. Vous imaginez ?

– Punaise, non, ne parlez pas de malheur.

– Oui, voilà. N’empêche, imaginez. Allez, je vais lui porter son chocolat, je crois qu’elle n’a pas démérité d’un peu de douceur. Et puis je la laisserai tranquille, je ne sais  rien en tirer. Surtout, je ne sais rien faire de tout ce qu’il y a à en tirer. Vous vous en sortirez mieux que moi.

– Merci, Cristo, vous me la gardez au chaud. J’en ai oublié le café et l’aspirine de mon client à moi.  De toute façon, Houard l’a conduit en cellule, le monsieur est fatigué. Je crains qu’il nous faille le reconduire à l’hosto, pour un examen… fouillé . C’est bien qu’il prenne des forces. Je vais faire un saut à l’appartement de la fête, je pense que la scientifique y est encore. J’espère qu’ils auront trouvé les verres de GHB. Je ne m’explique pas comment ils sont passés à côté.

– Je porterai son café et son médicament à votre gars, on fait le service en chambre. Et ne vous inquiétez pas, je veille à ce que lui et la miss Zinzin ne se croisent pas.

Et le voilà qui file vers l’exiguë salle de tapissage avec ses deux gobelets trop pleins et un rien trop chauds aussi. la porte est fermée, le bouton de porte n’est pas manoeuvrable avec le coude, alors il met des petits coups du pointu du pied dans le bois de la porte :

– Mademoiselle ?

Elle ouvre prestement et lui prend les cafés des mains :

– J’étais en train de me dire : mais il est allé les chercher en Arabica, ces… Ah oui non, c’est des chocolats. On s’assoit comme dans un salon de thé ? C’est dommage, à la maison je vous aurais fait goûter mes sablés. Je ne les réussis qu’une fois sur deux, et de toute façon je ne les fais jamais pareil. Mais tout le monde s’accorde à dire qu’ils sont excellents. Enfin, ça dépend des fois. Et ça dépend des gens. Mais quand c’est les bons gâteaux avec les bonnes personnes, croyez-moi que je peux avoir les oreilles qui sifflent. Non les oreilles qui sifflent c’est pour autre chose, ça n’a rien à voir avec les gâteaux ni la cuisine en général. Mais asseyez-vous très cher.

Elle dit ça avec une voix de petite marquise irrésistible, mais l’agent Cristo doit décliner :

– Non, la station assise ne me réussit pas. Et puis j’ai peur de ne pas pouvoir me relever.

– Ah oui ?

À la grimace de Cristo, Vanina celesti sent que c’est du sérieux, et elle n’y peut quasiment rien de « suivre son regard ». Elle ne sait pas dire ce qu’elle ressent dans la fesse et la cuisse de cet affable bonhomme, mais ça ressemble à une inflammation, et ça à l’air d’être comme un fil rouillé tendu entre l’arrière du crâne et le talon. Alors pendant qu’elle souffle sur son chocolat chaud, allez tant pis pour ses promesses. Ce pouvoir-là ne peut faire de mal à personne ici. Il n’y a que des policiers, des gens venus poser une main courante, ou une plainte, récupérer une amende et l’adresse de la fourrière, et les quelques vilains qui sont là, sont soit menottés, soit en cellule. En tout cas sous bonne garde. Elle inspire lentement, et laisse sa petite lueur partir. Ce n’est pas à proprement parler une lueur, ce n’est pas chaud, pas froid, ce n’est rien de dicible, mais au moment où ça traverse l’agent Cristo, il le sent, quand ce n’est pas un frémissement, et sur le coup il ne se rend pas compte qu’il n’a plus mal tellement il vit avec sa douleur. Et puis ça passe la porte, ça passe dans les murs, par la fenêtre, ça va sous terre, ça s’envole, et ça fait un sort à la petite tumeur à l’aine du brigadier Saïdi, ça remet les poumons du lieutenant Kozsak dans de bonnes dispositions pour en reprendre pour trente ans de tabagisme aggravé, ici un furoncle au cul, là un ongle incarné, plus loin encore juste une morsure d’aoûta, et puis ce n’est pas bégueule ou discriminent, puisque ça irradie jusqu’aux repris de justice, et assimilés.

Jean-Georges Rodriguez, les index sur les yeux et les pouces sur les tempes, essaye de faire le vide. Il ne peut pas s’en rendre compte, mais dès cet instant, et ça n’aura même pas fait un bruit : il se souvient de tout.

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