§11
Ils reviennent « à la nage » de Corbas, la Spectre Noire et Lui. Ils volent à basse altitude seulement pour entretenir les sensations de leur vitesse, et ça se passe remarquablement bien depuis le début du périple et spécialement depuis dix minutes où la Spectre flotte à sa manière à côté de lui comme à deux doigts de le doubler. Le vol de concert avec la Spectre, « en escadrille », c’est souvent compliqué attendu le « feeling » comme elle dit qu’elle doit engager pour aller droit tout en négociant comme en voile (même si elle dit que ce n’est pas tout à fait ça) ce qu’elle appelle les courants spectraux qui lui arrivent le plus souvent de biais. Mais là, elle est bien, elle maîtrise mieux que jamais, et elle dégage vraiment quelque chose de vivifiant quand elle comme ça. Il faut dire aussi qu’elle est spécialement agréable à regarder voler. Mais surtout, elle flingue de moins en moins souvent le plaisir du vol. Ce soir en plus, ils sont gâtés, c’est un survol inespéré d’un coin où ils vont peu, même s’ils n’ont quand même pas réussi à passer au-dessus de la maison de la mère à MDK – ça s’est joué à trois cents mètres ; mais après tout, ce n’est pas si mal, elle n’aime pas le voir en l’air et c’est même pour ça qu’elle l’a fait charpenté et costaud ; et lourd. Il l’appellera à son arrivée. Ils seront au QG avant la nuit et, si aucun orage de Mars ne s’invite à la fête, seront même gratifiés d’une arrivée dans l’incendie céleste d’un soleil couchant. Une nuit rousse et blanche est en vue.
Ils survolent Bron, les Essards, Parilly, MDK a repéré ce château d’eau à trois jambes qu’il aime tant, quand la Spectre fait une « embardée » à sa façon : il la voit partir d’un coup en haut et en arrière comme happée par un élastique invisible… à moins qu’elle ait heurté un iceberg spectral. Le pouce de MDK est ankylosé sur l’accélération depuis un moment et du coup ça tombe bien : il relâche tout. Un peu de silence, juste l’anti-vent, lui qui entre dans l’air, une flaque de souffle dans laquelle il tourne la tête le temps d’apercevoir la Spectre Noire qui s’est ressaisie et fond déjà sur lui pour le rattraper et se remettre à sa hauteur . Alors il remet les gaz et… rien.
Deuxième fois : rien. Son pouce s’affole sur le poussoir qui cliquette dans le vide. Rien ne vient.
Bon. Autant c’est une basse altitude pour voler, autant pour tomber ça fait haut. Mais pas encore assez pour le parachute qui n’aura pas le temps de s’ouvrir. Reste la réserve d’air comprimé, mais il faut qu’il se remette dans le bon sens et qu’il attende le tout dernier moment pour appuyer sur la solidité du sol l’expulsion d’un coussin d’air qui du moins devrait amortir sa chute. Il manque d’arracher la tirette de secours du compresseur, il entend l’énorme bruit espéré, psshhhhhouufff, couvrant l’impact de ses bottes sur le bitume et celui de ses genoux projetés violemment contre son casque et sa poitrine. Ensuite, un voile noir, plus de souffle, il sent qu’il s’effondre en arrière sur son propulseur, les bras ballants en croix. Il tangue, sans tenue, puis bascule sur le côté. Et il se recroqueville, se ratatine, cherchant une lueur en lui.
Il l’a, il est vivant, sonné et gourd, sans respiration qu’un râle, mais vivant. Il ne serait pas étonné d’avoir le menton et les genoux fracturés tellement ça a cogné fort, mais fort, mais au moins d’un coup de reins douloureux, il peut s’asseoir sur son séant, et deviner l’ombre de la Spectrequi se pose sans un bruit près de lui. Elle a la voix blanche de peur.
– Ça va là-dedans ? J’ai essayé de vous rattraper, mais vous savez ce que c’est, soit je tiens en l’air et je suis immatérielle. Soit je vous attrape et nous tombons tous les deux. Vous avez mal ? Bien sûr que vous avez mal.
– Je suis seulement sonné, Spectre. Et puis je me suis fait une belle petite trouille, j’ai cru que vous alliez me ramasser à la marinette.
– Je ne sais pas ce que c’est, la marinette, mais vous ne pouvez pas savoir comme je m’en veux.
– Spectre, vous ne pouviez rien faire.
– N’empêche que j’ai dématérialisé le sol sur au moins 10 mètres de profondeur sous vous avant que vous tiriez sur votre réserve d’air. Heureusement que j’ai eu le réflexe d’arrêter. C’était tellement bête de faire ça. Pas que vous tiriez sur votre petit câble, ça, c’était bien, chapeau, vous êtes toujours au top. Mais dématérialiser le sol ? Mais qu’est-ce que je suis bête. On vous aurait retrouvé comment ? Vous vous rappelez que j’avais fait ça à la funestea… fani ? Tri ?
– La Phoneutria Fera… Ah c’est sûr que le nom latin en jette plus. C’est vrai qu’araignée banane c’est moins crédible pour une harpie comme elle.
– N’empêche que la charpie, la banane, je l’ai mise dans le sol, et qu’on n’a eu aucun moyen de l’en extraire.
– Et c’est tant mieux, vous avez débarrassé l’humanité, et les espèces intermédiaires d’une belle infamie. Vous voulez bien m’aider à me relever s’il vous plaît, je crains d’avoir un ou deux os cassés.
Mais au moment où il lui tend la main, il se rend compte qu’il n’a pas si mal, ce que lui confirme le coup de bassin qui le remet sur ses jambes. En fait, il n’a pas mal du tout. Il tire sur son bras pour regarder son coude, sa coudière est fendue en éclat, mais il ne saigne pas et l’articulation joue en plein sans le lancer. Idem pour ses fesses, le cuir à bien râpé, mais lui est indemne, pas une douleur, pas une goutte de sang. C’est juste incroyable…
– Je pensais m’être brisé en quelques morceaux, au moins avoir laissé quelques copeaux d’os sur le bitume. Je vais finir par croire qu’on ne veut pas de moi tout là-haut. Et que mon équipement est plus sécure encore que ce que j’avais prévu.
– Oui, et c’est peut-être aussi parce que vous êtes fort et entraîné. Votre acharnement à l’entraînement paye. De toute façon, c’est comme ça que vous faites la différence.
– Vous me flattez encore, Spectre. Je vais finir par m’y croire. Par contre mon propulseur…
– Il est cassé ? Là, je ne vais rien pouvoir faire. Là non plus, je veux dire.
MDK défait les boucles croisées sur son torse et en se tortillant fait passer le propulseur devant lui et l’allonge par terre pour un examen. L’aileron droit de stabilisation est tordu et doit pouvoir se redresser, l’axe de commande est cassé, les diodes sont HS, et de toute façon il n’y a plus de jus. Et ce n’est pas la chute qui a endommagé l’alimentation, c’est le contraire, c’est la panne qui a provoqué la chute. Et ça, ça n’annonce rien de bon. L’exosquelette est encore alimenté, mais aux bruits inquiétants qu’il émet il ne devrait pas non plus faire long feu. Ça augure une sacrée séance de manutention pour trimbaler à bras d’homme les 50Kg de bardas qui sont pensés pour permettre de porter sans trop de mal jusqu’à trois tonnes. Pas de tonalité dans le casque, et la radio est muette, même sur les fréquences publiques. Pas moyen de joindre le QG, et c’est le moment de regretter d’avoir interdit à la Spectre de prendre son portable pendant les missions et les patrouilles. On est en galère.
L’exosquelette pour l’instant tient encore, il faut mettre à profit le temps qui lui reste pour se rapprocher du QG en courant. Si ça tient jusque là.
– Spectre, vous savez à peu près où nous sommes ?
– Non, je vous avoue que je ne regardais pas la route, je vous regardais vous. Enfin je vous suivais, je n’ai pas votre sens de l’orientation.
Ils sont sur le parking désert d’une société fermée pour le week-end, en pleine zone d’activité, le périphérique est juste au-dessus, le canal ne doit pas être loin. Ils sont à la limite de Vaulx, ce qui fait une trotte pour atteindre le parc. Et il n’y a pas de chemin discret : de là où ils sont c’est Salengro/Philip la ligne la plus droite pour atteindre le boulevard des Belges. Ce n’est jamais bien de se montrer en difficulté à la population qu’on est censé protéger – ça signe du malheur.
– Spectre ? Est-ce que vous vous sentez de voler seule jusqu’au QG pour les prévenir. Il va falloir venir me chercher.
– Si vous me pensez capable de le faire, alors je le ferai.
C’est comme ça que la question est la mieux posée. Est-elle capable de se repérer ? A priori oui, elle a ses points de repère dans la ville, et le parc de la Tête d’Or en est un fameux. Et au pire, elle aura l’idée de se poser et de demander son chemin à quelque passant. Après, elle doit mémoriser l’endroit où revenir chercher MDK et son attirail. Ce parking-là ça pourrait être une très bonne idée, c’est discret, et il y a la place pour un atterrissage si N’a-qu’un-oeil trouve pertinent de sortir l’hélico. Il faut juste savoir où on est. On doit bien pouvoir trouver l’adresse de cette boîte.
C’est un bâtiment en brique et en tôle, il doit y avoir quelques bureaux, et probablement un entrepôt et des quais de chargement. Pas d’enseigne ni de logo apparent. Sur la porte, il est indiqué « accueil », et voilà ce qu’il nous faut : une boîte à lettres. Quand MDK se met en marche, son exosquelette lui obéit, mais saccade son obéissance. Il ne tiendra plus longtemps. La boîte à lettres ne porte pas de nom, bien sûr ça aurait été trop facile. MDK passe sa main dans la fente et tire d’un coup sec, pensant arracher la porte. Mais c’est toute la boîte qu’il arrache du mur. La Spectre ne comprend pas au juste ce qu’il cherche, mais se garde bien d’intervenir. Quand il est comme ça, il faut le laisser tranquille. En plus, l’espèce de tremblote qui secoue son armature, ça doit le mettre en rogne. Et tiens. Le voilà qui s’acharne sur cette pauvre boîte aux lettres, il ne l’ouvre pas, il la déchiquette. Mais elle est vide. C’est le week-end, c’est normal.
– Bon, il nous faut l’adresse de ce parking. On va déjà essayer d’avoir le nom de la rue. Spectre, vous voulez bien voler jusqu’à la benne là-bas, et me rejoindre pour me dire ce qu’il y a dedans ?
– La benne bleue ?
– Il y en a une autre ?
– Non, la bleue, elle est bien.
Pendant que MDK s’en retourne vers son point de chute récupérer son propulseur, La Spectre Noire monte une assez jolie vrille en l’air, qu’on verrait bien ralentie, et dans l’eau, et s’arrête en vol stationnaire au-dessus de la benne pour en faire un inventaire appliqué. MDK peut se maudire d’avoir jugé superflu de s’encombrer du drone et de son armement pour une mission d’apparat. Le drone aurait déjà donné l’alerte et leurs coordonnées GPS. Il aurait peut-être même commandé un taxi. En plus, La Spectre aime bien le Drone 2, plus que le 1 qui est à l’atelier en ce moment. Elle lui trouve des « comportements », et ce n’est pas la peine d’essayer de la détromper. Elle sait que c’est bête. Mais n’empêche :
– Le 2 n’a pas la même personnalité que le 1. D’ailleurs, le 1 n’a pas de personnalité. Il est comme moi, il fait ce que vous dites. Alors que le 2…
Oui oui, alors que le 2 aurait besoin d’une petite réinstallation informatique, parce qu’il a des bugs. Son petit caractère quoi. Le plus rageant dans le contexte, c’est que l’atelier à vol d’oiseau est à moins d’une borne d’ici. Les Buers, c’est juste là. Et le drone 1 serait vite remonté et remis en service. Mais voilà, il faut que l’exosquelette le porte jusque là-bas. Et surtout, il ne faut pas que La Spectre Noire le suive. L’entrepôt qui lui sert d’atelier est loué au nom de Jean-Georges Rodriguez, et lui a son nom sur la boîte et sur la porte. La Spectre revient au rapport en feuille morte :
– Il y a une chose que je ne sais pas nommer ni même vraiment décrire. Ça pourrait être une photocopieuse, mais avec du papier à rayures bleu clair et perforé sur le côté. Sinon il y a un téléphone à tortillon, mais ça j’en avais déjà vu. Tout le reste en surface c’est des papiers dans des boîtes en carton et une chaise à roulettes, mais il manque deux roulettes. Je pense que c’est pour ça qu’ils l’ont jetée. Et il y a un calendrier du Crédit Agricole, mais ce n’est pas la bonne année.
– Merci Spectre. C’est parfait.
MDK prend une lanière de son propulseur et le stabilise sur son épaule, mais avant qu’il ait pu faire un premier pas, l’alimentation de son exosquelette rend soudain l’âme, et le voilà bloqué net et tout raide dans son élan. Forcément, il bascule en avant et forcément il ne peut faire aucun geste pour se retenir ni pour enrouler sa chute. Il tombe comme un arbre face contre terre et avec tout le poids de son propulseur qui lui fracasse la nuque. Cette pauvre Spectre Noire qui l’a connu plus souple pense immédiatement à une attaque et met ses deux mains sur ses tempes pour hurler comme une Mama du grand Sud, mais soudain s’en remet au qui-vive : elle a déjà vu les effets du rayon paralysant du terrible Docteur Michon. Rien à l’entour, c’est donc une crise cardiaque, et ça elle sait encore moins le gérer que le Docteur Michon. Mais MDKraide comme un piquet n’est pas mort puisqu’il a la force d’articuler :
– Spectre ?
– Oui, je suis là Méca.
– Vous voyez le levier de débrayage-moteur de mon squelette ?
– Non… Mais en fait, je n’ai compris ce que je dois voir.
– Dans mon dos juste en dessous de mon casque il y a le bloc moteur, comme une grosse boîte avec des jauges et des cadrans et surtout une petite manette grise.
– Oui j’ai. Je tire ou je pousse ?
– Je ne sais plus, essayez les deux.
Elle tire, fort, et c’est décevant, et le petit clic que ça fait, et le fait que le résultat escompté n’est pas le démembrèrent complet de cette ossature en carbone et acier. Mais au moins, ça permet à MDK de bouger, lentement, comme il aurait pris un coup de vieux d’un coup. Il s’assoit fourbu et lourd, et se laisse aller à un râle :
– Quelle galère. Cette fois, on y est pour de bon, Spectre. Et en plus, je me suis éclaté le nez contre la visière de mon casque. Je crois que ça pisse le sang à l’intérieur. Et puis alors le coup du lapin administré par mon propre propulseur, n’en jetez plus, la coupe est pleine.
La Spectre propose son bras pour l’aider à se lever, mais il décline.
– Merci, mais je ne vais pas me trimbaler ce truc-là sur le dos. Je vais d’abord me l’enlever et le plier, ce sera plus facile. Je crois que je me fais vieux, Spectre.
– Ne dites pas ça. Et ne laissez personne dire ça, ça m’énerve. Vous êtes dans la force de l’âge, je ne suis pas sûr de ce que ça veut dire, mais je trouve que ça vous va bien.
– Je ne sais pas, en tout cas fausse alerte pour mon nez, l’hémorragie est déjà finie.
– Vous voyez ? Vous avez le corps qui dégénère comme celui d’un nourrisson.
– Qui régénère ?
– Oui oh… Sûrement.
MDK se masse la nuque et fait tourner sa tête sur son cou, il a quand même une sacrée constitution, ou alors une chance hors norme, l’incident va se terminer qu’il aura à peine quelques contusions et quelques bleus. C’est un petit miracle. Il doit être plus vigilant quant à lui depuis qu’il doit veiller à ramener la « gamine » intacte au bercail. Il n’y a pas si longtemps il ne savait pratiquement pas rentrer de missions sans y avoir laissé une côte. Sa carrière a même pâti de ça : on ne peut pas espérer se maintenir dans les classements et dans les têtes des gens qui décident en étant blessé et éloigné du terrain tout le temps. Ces derniers temps, il se gère mieux ; en fait, il faudrait qu’il ait la force et l’explosivité de sa jeunesse et sa maturité d’aujourd’hui. Peut-être serait-il encore en catégorie 4. La Spectre s’est retournée, pendant qu’il défaisait les lanières qui tiennent son corps et son exosquelette ensemble, ses deux squelettes. Par pudeur ? Peut-être imagine-t-elle que c’est comme s’il se déshabillait, et le fait est qu’elle ne l’a jamais vu sans son tuteur articulé et ses vérins.
– Vous pouvez vous retourner, Spectre, ça reste tout à fait décent, vous savez.
– Ça fait drôle quand même. Comme quoi, ça habille, hein ? Mais maintenant que je vous vois comme ça, je crois que je vous aime mieux sans. Je vous trouve plus souple. C’est dommage que vous gardiez vos grosses bottes parce que ça vous fait toujours une démarche balourde, alors que vous donnez l’impression d’avoir gagné en vitesse. Après c’est sûr, vous n’allez pas marcher pieds nus. Mais pensez-y , si vous devez sortir comme ça sans tous vos trucs et vos machins, il y a moyen de trouver de la basket noire bien costaude, mais plus dans le ton. Ils en ont une chez Nike, mais je ne sais pas s’ils la font pour homme. Mince oui, mais non, vous n’allez pas sortir sans vos machines… Oui, c’est bête ce que je dis. Comment je peux vous aider ?
– Je pense que vous pouvez porter mon propulseur. Moi, je me charge de la batterie et du squelette. On va les porter à la benne.
– Pour de bon ?
– On va juste les cacher, le temps de trouver le nom de cette rue.
– Vous m’avez fait peur.
La benne est loin d’être pleine, et le fait que l’essentiel de son contenu soit de cartons et de papiers est une chance pour un ensevelissement pratique et total. La spectre ne ménage pas ses efforts qui a sauté dans les cartons, alors qu’ils sont pleins de poussières, et alors que son étonnant pouvoir d’intangibilité fait que c’est la plus propre et la plus hygiénique des justiciers masqués. Même quand elle arrache un organe des entrailles d’un vilain, elle arrive à s’arranger pour que le sang qui gicle lui passe au travers. Et là, il faut la voir à quatre pattes tasser les cartons pour lisser les reliefs créés pas les machines de MDK.
– Je crois que c’est bon, Spectre. Au pire, on est de retour dans un quart d’heure.
Il se hisse sur le bord de la benne et tend la main à sa partenaire avant qu’elle ne s’envole. C’est moins pratique, mais ça lui fait plaisir. L’accès au parking est barré par un portail à commande électrique, qu’il n’est pas plus difficile de franchir. Depuis leur atterrissage forcé, ils n’ont pas vu ni entendu passer une voiture dans la rue. Au moins, la discrétion leur est acquise. À droite et à gauche, la rue s’étend sur une longue ligne étroite et très droite, sans trop de croisements, qu’avec des ruelles et des impasses. À droite, ça va vers Bron et la première rue perpendiculaire est assez loin. Alors ils partent à gauche. Tout au fond, loin droit devant il y a un rond-point, la civilisation, mais il faut espérer qu’ils n’auront pas à marcher jusque là. Le premier croisement est une première déception. C’est une impasse bordée à droite et à gauche de garages et de box. Pas de plaque de rue, nulle part. La prochaine rue à droite, MDK la sent bien, on dirait qu’il y a des habitations. Et, de fait, la rue a un nom. Elle est assez longue et s’enfonce loin vers, ou déjà dans, Vaulx-en-Velin, et elle est habitée, si l’on en juge à la musique un rien trop forte qui émane d’un petit immeuble fraîchement ravalé. Par contre, pas de plaque pour la rue de l’entrepôt.
– Bon, Spectre, on a cette petite rue qui s’appelle « Rue des prés ». Si vous indiquez ça à N’a-Qu’un-Oeil et qu’il vous conduit ici, vous saurez retrouver l’entrepôt ?
– Oui, quand même. Rue des Prés, et tout au bout, à gauche. Sauf si on la prend dans l’autre sens, auquel cas c’est à droite. Non, non non pas du tout, si on la prend dans l’autre sens on s’éloigne. Donc à gauche. À Gauche ! Oui, je saurai vous retrouver.
– Alors, je vais retourner sur le parking là-bas et vous laisser vous envoler. Attendez que je me repère. Voilà, si vous volez tout droit dans cette direction, vous allez passer le périph’ et le mieux ce serait de viser la colline de la Croix Rousse. Normalement, vous devriez vous repérer facilement. De toute façon, prenez tout le temps qu’il vous faut, moi je serai tranquille à vous attendre. J’ai une totale confiance en vous. Hop attention…
Une voiture arrive du fond de la rue des prés, musique à fond, et c’est heureux qu’elle se signale autant parce la Spectre et MDK n’avait pas vu une autre personne arriver à pied de la même direction. Ils s’esquivent derrière le mur de la maison qui fait l’angle. Mais La Spectretrébuche, et a hésité :
– Méca ?
– Oui ?
– Vous avez vu qui c’est ?
Non, MDK, n’a vu qu’une silhouette, alors il repasse la tête et regarde mieux : la silhouette entre dans l’allée de l’immeuble qui répand la musique à la ronde. C’est une femme, elle a un sac bizarre en bandoulière et tient un genre de tube en métal dans ses mains, et son visage… son visage est un sac de jute, ce qu’elle tient c’est un lance-flamme, c’est elle…
– Punaise, c’est…
– Oui ?
– Oui, c’est Blind. C’est elle !