Vanina Ah Ah §15

La paix bon sang, il ne va pas arrêter de beugler l’autre zinzin à côté ? Chérubin, ils l’appellent ; ça y est, on sait pourquoi. L’autre, voilà qu’il prie la vierge, qu’il demande pardon, Marie, Marie, non, mais pour se concentrer, ce n’est pas tenable. Jean-Georges Rodriguez met ses doigts dans ses oreilles, et essaye de reprendre le fil de ses pensées.

Blind, il en était à Blind ; cette tordue-là qui passe pépouze devant eux dans cette ruelle perdue de Vaulx-en-Velin. Son sang ne fait qu’un tour, puis un deuxième, plus lent, quand il reprend conscience qu’il n’a pas son équipement, et encore un troisième quand il voit La Spectre tendue comme une arbalète à côté de lui, et qui n’attend qu’un mot de lui… mais comme s’il allait lui jeter une balle ou un bâton.

– Spectre ? Je n’ai pas mes armes.

– Ah oui. Vous voulez que j’aille les chercher ? Je sais me repérer à partir d’ici.

– Non, Blind risque de nous échapper le temps que vous fassiez l’aller-retour. Tant pis, je vais y aller désarmé. Après tout, je sais encore me battre. Mais vous ? Vous vous sentez d’y aller même je suis plus faible que d’habitude ?

– Vous n’êtes pas faible.

– Disons que vous risquez fort de vous la cogner à vous toute seule la Blind. Vous vous sentez capable de ça ?

– Blind ? Vous rigolez. Je lui fais manger ses chicos pas les fesses à celle-là.

– Où avez-vous entendu cette expression ?

– Nulle part, c’est moi qui l’ai inventée. Ma soeur m’a lu un article de Voici, sur « ces petites phrases de nos justiciers ». Ils n’avaient pas mis la vôtre, mais je me suis dit que vous en aviez une aussi. MDK quand même, on parle de MDK. Je ne sais pas ce que vous avez fait à la presse.

– Rien . En tout cas rien à comparer de ce qu’elle se fait à elle-même. Je me propose de vous servir d’appât.

– D’accord, si vous me dites ce que c’est, d’accord.

– Je l’attaque seul, vous vous cachez, elle m’envoie son pouvoir dans les yeux, et là paf, vous sortez, et…

– Et je lui fais manger ses chicots par… elle ne vous plaît pas ma phrase ? Elle est vulgaire ?

– Non, elle très bien. Elle est inattendue, mais non. Très bien, Spectre. Et mon plan, vous en pensez quoi ?

– Quel plan ? Ah oui vous attaquez, elle vous flashe et moi je la tue. Comment je saurais qu’elle vous flashe ?

– Vous le saurez au flash. Il va y avoir beaucoup de lumière blanche d’un coup. Il ne faudra pas la regarder en face, cette lumière. Vous vous rappelez, on s’est entraîné à affronter Blind dans le simulateur ? Quand elle a flashé, elle a toujours un moment où elle est un peu groggy, et c’est là qu’elle est vulnérable. Il faut frapper là, avant qu’elle retrouve ses moyens, parce qu’ensuite elle a son lance-flamme.

– Oui, ça y est, je me souviens. Qu’est-ce que j’avais eu du mal avec cet exercice ! Comme vous avez été patient.

– N’empêche qu’à la fin, vous l’avez réussi.

– Oui, bof, pas sans votre aide.

– Oui, mais je suis là encore aujourd’hui pour vous aider. Alors ?

– Elle n’a aucune chance.

– Voilà, allons lui faire manger ses dents par le cul.

– Par le cul ? C’est mieux si on dit « par le cul » ?

– Non les fesses, c’est mieux, vous avez raison. C’est plus propre.

Et il s’élance à découvert dans la ruelle. Mais à peine a-t-il fait quelques pas qu’il se rend compte que la Spectre Noire nele suit pas.

– Spectre ?

– Je ne dois pas rester là et attendre la lumière blanche ? C’est après ? Vous me direz ?

Quand ils atteignent la porte d’allée, une voiture se gare, et des portières claquent. La porte est sécurisée par un digicode, alors La Spectre Noire la traverse, trouve le bouton de la lumière puis celui pour démagnétiser la sécurité. MDK entre à son tour et se tient sur le pas de la porte. C’est un immeuble semi-bourgeois, ce qui est étonnant le quartier étant donné, mais il date aussi, si l’on juge à l’assez beau carreau de ciment au sol, à la nette maîtrise menuisière des boîtes à lettres. L’escalier part à droite au fond du couloir, juste avant la porte sur coure, et le tableau est gâché par une cage d’ascenseur moche, probablement rajoutée dans les maudites années 80. L’ascenseur fait son bruit de fonctionnement, Blind est en train de monter dans les étages.

– Go !

Mais ils n’ont pas le temps d’un geste de plus, du bruit dans leur dos, et quelqu’un qui les interpelle :

– Hé ? Ne fermez pas la porte, pensez aux collègues !

Et derrière eux arrivent, en ligne, WonderwomanLa Cibleuse, Iron-Man (en carton) et un type en slip panthère, qui doit être un genre de Tarzan ou de Hakim, encore qu’il ne semble avoir l’âge de connaître ni l’un ni l’autre. Ou alors c’est juste un gars qui a prévu léger pour un safari. Bref quatre gugusses hilares qui fondent déjà sur eux en commentant leurs costumes :

– Regardez les moi les deux, comment ils ont plié le game ! Elle est trop forte la Spectre, ah là là, tu tues, frangine !

MDK fait des deux mains le signe « du calme » à La Spectre, qui a reculé d’un pas, et qui pourrait peut-être ne pas avoir toutes les données de la situation ainsi qu’elle continue à partir de travers. Et se disposer à envoyer les quatre gamins s’écraser contre  la camionnette garée en face. C’est bon, elle braque sur Wonderwoman qui n’a pas la coiffure de l’emploi, mais des dreads, et non plus un lassos, mais une corde à sauter. Donc ça ne peut pas être la vraie. Et s’il reste un doute, de toute façon la vraie non plus n’existe pas. C’est une actrice avec un nom qui ne fait pas actrice, qui fait plus dessert de Mamie Nova, ou footballeur brésilien. Mais elle l’est peut-être. Brésilienne. Ce n’est pas important. Ce qui l’est c’est que MDK, se met à ricaner bizarrement et à se dandiner comme… pas comme lui en tout cas, enfin le lui habituel. Là, il commente les tenues des gamins en retour.

– Non, mais vous aussi, vous déchirez. Sérieusement, mais Iron-Man , je suis fan, et tout ça avec du carton. Je te jure de loin, j’y ai cru.

– Ouais, vas-y fous toi de moi, toi. Tu vas goûter mon rayon, tu vas bien changer de ton.

Et il sort de son sac à dos, un petit tube en carton, qui s’avère être un canon à confettis. Et bim, dans la gueule de La Spectre et MDK qui restent l’un et l’autre pantois. Tout est tellement en train de leur échapper que c’est un miracle que la Spectre ne se soit pas rendu intangible, quand la nuée de papier bleu lui est arrivée dans le museau. Là, elle postillonne parce qu’elle en a dans la bouche, et ses yeux clairs à travers son masque expriment un désarroi que MDK ne lui a jamais connu.

– Allez on monte, exulte le jeune homme en slip, sinon on va prendre du retard sur l’apéro.

Et voilà nos justiciers poussés vers l’ascenseur, et qui n’ont que le choix de suivre le mouvement. Ça braille beaucoup, MDK pas moins que les autres, et la Spectre comprend qu’il faut qu’elle entre dans le jeu :

– C’est qu’il fait chaud avec tout ce cuir, et soif, surtout soif.

Mais les deux garçons de la petite bande, qui ont déjà bien les yeux en vrille depuis qu’elle leur est apparue, en entendant sa voix de télétubbie éclatent de rire.

– Alors là frangine, c’est toi la reine du bal, je te le jure ! Je ne sais pas si à l’intérieur de ton cuir il fait chaud, mais je peux te dire que de l’extérieur c’est chaud chaud chaud.

MDK sent venir les vannes allusives et les approches à gros sabots, mais l’ascenseur qui arrive lui sauve la mise. La cabine est trop petite pour six.

– Allez-y tous les quatre, on prend le prochain.

– Non, mais on va se serrer, on risque quoi on est des super-héros.

Et ils se mettent à beugler, de manière terrible leurs noms de personnage, en prenant des postures grotesques, le poing vers le ciel pour IronMan, l’arc qu’on bande pour La Cibleuse, le lasso pour WonderwomanTarzan (c’est bien lui) se cogne la poitrine en poussant son cri de roi de la jungle… et La Spectre se fend d’un salto arrière surprise en couinant « la-spec-treu-noire ».  Et ça, la petite bande de quatre, ils ne l’ont pas vu venir. Elle est très très forte dans le personnage, la meuf. Déjà, qu’elle est bonne couturière, qu’elle est bonne tout court, mais si en plus elle a répété des gestes de son héroïne, on est à un niveau de geekerie qui n’est plus dans les registres de la bête fête costumée. On est dans le cosplay rigoureux et chiant. Et du coup, est-ce que les quatre copains ne se seraient pas totalement plantés de soirée, ou fourvoyés avec leur déguisement à la ouneugaine ? Toutes ces questions existentielles arrangent bien MDK qui a poussé les jeunes dans l’ascenseur, et referme la porte sur eux. Dedans, ça reste un peu interdit, puis wonderwoman dit :

– Le 3. C’est au troisième.

Et l’ascenseur décolle. MDK soupire profondément, et la Spectre s’en remet au mimétisme. Ils écoutent l’ascenseur monter, le ploc inquiétant de son arrivée à l’étage. Et puis une porte qui s’ouvre, de la musique boumboum qui se répand dans l’allée, et des cris de joie, des cris de meute, et la porte qui claque. Sous peu, une autre voiture va livrer les prochains arrivants, MDK et La Spectre Noire peuvent encore ne plus être là à ce moment-là, mais…

– Spectre ?

– Méca ?

– Qu’est-ce que vous en dites ?

– De Rihana ? Je n’aime pas comme elle chante, on dirait que sa voix est trafiquée comme une glace italienne. Pas de Rihana ? Non, comme c’était « daillemonz », la musique… je ne sais pas.

– Vous vous sentez de tenter une incruste ?

– Là non plus, je sais pas. C’est difficile ce soir, je trouve. C’est un exercice ?

– Non, ce n’est pas un exercice. Je me disais que c’était peut-être notre chance, cette petite soirée là-haut.

– Notre chance, vous voulez dire, notre chance à vous et moi ?

– Oui, on monte, on joue les fêtards, de toute façon on est masqué. Éventuellement, s’il faut danser un peu, pour donner le change, du moment qu’on a l’air de s’amuser… le temps que je trouve un téléphone.

– Punaise, vous avez toujours des solutions, des raisonnements, des plans. Vraiment, à chaque fois, vous arrivez à me scotcher. Mais vraiment. Par contre, redites-moi : pourquoi le téléphone ?

– le QG

– Mais oui, le QG. La panne, le parking, la benne, la rue des Montagnes.

– Des Prés. La rue des Prés.

– Oh mince !

Décidément, rien à faire, il peut tourner les choses dans tous les sens, s’inviter à la fête c’était la fausse bonne idée. L’idée la plus opportuniste d’accord, et celle qui sollicitait le moins la prise d’initiative de la Spectre. Mais déjà, c’était lui témoigner peu de confiance, surtout qu’au combat, MDK a remis sa vie plus d’une fois entre ses mains, et qu’elle lui toujours sauvé les miches. Et à l’arrivée, le résultat est tout simplement catastrophique. Finalement si l’on s’en était tenu au plan initial, mettons qu’elle aurait galéré pour trouver le QG, de toute façon il n’y avait pas une seule hypothèse où elle ne finît pas par le trouver. Mettons qu’elle ait indiqué à N’a-Qu’un-Oeil la rue des Montagnes ou l’avenue des Champs Élysée comme localisation, N’a-Qu’un-Oeil ce n’est pas une épée, mais quand il aurait tapé ce qu’elle indique dans son GPS, il aurait tiqué, il l’aurait questionné, gentiment, parce que c’est un brutal, mais pas avec la Spectre Noire. La Spectre Noire, il en a une trouille bleue. Et la Spectre, si on lui parle gentiment, elle finit toujours par faire les bonnes connexions. Il ne faut pas qu’elle panique et puis…

À nouveau ça grabuge dans la cellule à côté ; Chérubin qui s’était un peu calmé, et peut-être même beaucoup endormi, bercé par ses propres litanies, se met à nouveau à implorer la miséricorde de la vierge. L’agent en faction intervient en criant plus fort encore et en tapant avec ses clés sur la porte en métal. Ce n’est plus tenable  il faut que Jean-George se tire d’ici. Par tous les moyens.

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