Bec #4

Après, Bada, je soupçonne, et Sal et Frida et Danette avec moi, qu’il n’a pas toujours été cette espèce d’épave fiable. Il fait gloire déchue, comme Sal, le côté déchu déchet en plus. Il a gardé une tête à avoir été quelqu’un conçu pour tirer les ficelles, et ses épingles du jeu. Et puis non. Ça a dû merder. Sa chance n’est probablement jamais passée. Ou alors c’est qu’elle sera passée sans lui, sous son nez. Où alors encore, plus probablement, il a eu comme beaucoup un de ces incidents de parcours qui coupent la vie en deux. Il porte sur lui de grands malheurs. Peut-être un seul, mais qui lui aura fait tout le reste de son existence. Il a des tatouages de prisonniers à l’ancienne, les points sur le poing, la larme sur la joue. Je n’ai pas trop idée de ce par quoi il est passé Bada, et je pense que dans le quartier, personne ne le sait. Mais son air ahuri par l’alcool bien souvent n’apparaît que comme une fine pellicule sur sa morgue de grand seigneur. Il a dû y avoir un temps où il a été comme sommé d’être à la hauteur du hasard.
Il a dû avoir ça dans le sang. Être comme une tique qui est montée en haut d’un brin d’herbe. Si un animal à sang chaud l’avait frôlé, il lui aurait sauté dessus. On est dans le registre du tactisme là. Cependant… je dis qu’il a eu ça dans le sang. Et je le vois plus comme une enveloppe vide.
Mais je pense qu’on en connaît tous. Ces êtres mi-humains mi-tumbleweed (ou virevoltant) qu’on croise H24 même pas aux abords des ministères ou des grandes banques, dans aucun état-major, aucun tinktank. On les croise où on est nous, pêcheurs, sur le parvis des gares, dans les Starbucks, les salles de sport. Des gens vides, inoccupés. Pour moi, de base on pourrait les croire apparus un matin, échoués là, poussés par l’inertie en cercles concentriques de leurs habitudes apprises comme des coquilles pour servir de bivouac aux pagures (bernard-l’ermite) de passage. Peut-être que fut un temps Bada a été de tous les vernissages, tous les pince-fesses. Des fois que sa chance passât. il était là, il était prêt, il avait son pitch par cœur au bord des lèvres et sa carte de visite. Et on aurait probablement dit qu’il était mû par une espèce de roulis. C’est pour ça que quand on s’approchait d’assez près, on pouvait entendre la mer. Bon aujourd’hui de près, la mer on peut aussi la sentir, mais chut… il n’aime pas quand on parle de ça.
Longtemps néanmoins je me suis plu à penser qu’il y a un vrai être humain derrière l’épave. Un homme d’aujourd’hui, dynamique, ondulé, célibattant, en marche, avec ses faiblesses, mais aussi ses charmes et dont la déchéance en somme ne serait qu’un des nombreux produits dérivés. Et puis quand même petit à petit je me suis rendu compte qu’il était rare de la retrouver le matin à l’endroit où on l’a laissée le soir. C’est sûrement parce que l’équipe de nuit avait oublié de la ranger. Ce n’est pourtant pas compliqué, on la pousse dans son coin, on lui met la béquille, et surtout on la bâche. Un matin on l’a retrouvé tagué. Sur son front : “jan dormaiçon cé tro ma kam”. Il a fallu le repeindre.
Après je ne m’honore pas à en parler ainsi, puisqu’en fin de compte, ce faisant c’est de moi que je parle. Comme dit le proverbe. C’est dans ses amis qu’on reconnaît ses besoins. Enfin c’est un proverbe de sal ça. Et Bada n’est pas un ami à moi, n’est l’ami de personne. Mais tout le monde l’aime bien. Lui.

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