Vanina Ah Ah §31

Trois coups, puis deux coups fermes, c’est le signal. Tant mieux parce que la Spectre commence à en avoir un peu marre d’attendre ; elle dématérialise la porte et passe sa main au travers pour attraper le bras de MDK et l’attirer de son côté. Bon, ce n’est pas MDK, puisqu’il n’a pas son masque, mais ce n’est pas Jojo non plus, puisqu’il a une blouse verte et un machin qu’on met dans les oreilles pour écouter les gens tousser de l’intérieur.

– Vous êtes docteur ?

– Non, j’ai volé la blouse, pour passer inaperçu, parce que ma combinaison tire quand même bien sur le rouge.

– Moi, j’aime bien.

– J’ai trouvé la chambre de la fille, il y a deux policiers qui font le pied de grue devant, mais je pense qu’avec vos pouvoirs, on peut les contourner. Tenez, je vous ai apporté une blouse aussi.

– Et un machin, là ?

– Le stéthoscope ? Je n’en ai trouvé qu’un, mais je vous le passe. Par contre, il faudra enlever le masque. On va tout laisser là, j’espère que personne n’aura idée de monter sur le toit. Il y a quand même deux propulseurs et deux exosquelettes dont un augmenté d’un arsenal de guerre.

– Je me dis un truc, mais peut-être que je mets la charrue avant les œufs… on n’aurait pas pu faire la mission comme ça avant.

– Vous voulez dire qu’on a un gros avantage maintenant qu’on n’est plus tenu d’être masqué l’un pour l’autre ?

– Oui, je ne l’aurais pas dit comme ça, mais c’est ça. Maintenant qu’on se connaît et qu’on est les seuls à se connaître, on est plus détendu avec les nonymats des uns et des autres. Je parle de la vôtre et la mienne. Je trouve que c’est un signe.

– Un signe de ?

– Un signe d’un peu tout ça. Vous croyez au destin ?

– De base non, mais depuis que je vous connais, je n’en suis plus si sûr.

– Oh, vous êtes trop gentil, Jojo. Moi aussi, ça me fait ça, pour vous. Et sinon, moi je ne sais pas si j’y crois non plus au destin. Mais c’est-à-dire que je ne suis pas sûre de savoir ce que c’est.

Comme un blanc pourrait s’installer, elle enlève son casque et va le déposer avec le reste du matériel. Quand elle revient, elle a déjà le stéthoscope dans les oreilles, et elle pose le pavillon de l’appareil sur la poitrine de MDK :

– Boudoum boudoum boudoum, ça vous fait plaisir de me revoir ?

– Bien sûr.

Elle sourit et dématérialise la porte. Un escalier brut de béton descend jusqu’à une autre porte, et au-delà, c’est le couloir d’un service de réanimation où des soignants débordés s’affairent. En passant devant un chariot, MDK récupère une enveloppe pleine de radios, en extrait une et la montre à la Spectre, pour cacher au mieux son visage le temps d’atteindre l’escalier central :

– Vous voyez, pour moi ce n’est pas flagrant.

– De quoi ? Ah oui. Donc j’annule l’amputation ?

– Oui, c’est mieux.

Les voilà dans l’escalier, MDK repasse sous son bras sa radio de boîte crânienne sauvée de l’amputation. La jeune fille est à l’étage du dessous. Et c’est là qu’il va falloir jouer serré.  La porte de la chambre est juste à l’angle du couloir à droite. Donc, si l’on va tout droit dans le mur juste en face, on devrait arriver pile à son chevet. La voie est libre à droite et à gauche. Alors la Spectre passe son visage dans le mur. Et en ressort :

– Oui, elle est là et elle est seule. Je ne peux pas la reconnaître, elle n’a plus son casque, mais elle a un genre de masque.

– Ça ne peut être qu’elle, c’est la seule chambre sécurisée de tout le bâtiment.

– Alors après vous.

MDK entre dans la demi-pénombre et les bips de la chambre. La jeune fille allongée a l’air morte, sinon sa poitrine qui monte et descend, assistée par une machine qui respire à sa place. La Spectre, s’approche à son tour, elle a l’impression de reconnaître le bas du visage de la fille si souriante d’hier soir. La pauvre, qu’est-ce qu’il va être devenu, ce sourire ? Elle se concentre un peu, et ressent très vite une énorme charge. Il y a beaucoup beaucoup de gens à soigner tout autour. Mais vraiment beaucoup. Elle va essayer de se concentrer sur cette jeune fille dont elle prend la main, mais elle ne pourra rien faire si la “vague” déborde et dure. MDK a calé son pied fort contre la porte pour en interdire l’accès si quelqu’un avait l’idée d’entrer. Et il sent le petit frémissement du pouvoir de la Spectre le traverser. Elle a les yeux fermés dans la demi-pénombre, et un air de Sainte Thérèse du Bernin, à ceci près que son visage est orienté vers une diode assez puissante et qui dépose un rond de lumière verte pile sur son nez. Mais même comme ça, elle est splendide. MDK doit se reprendre à tout prix, il se rend compte qu’elle le rend contemplatif. Il se rend compte qu’il a l’âge où les vieux cons dans son genre pètent des boulons et s’amourachent de petites danseuses. Tout ça est pathétique. Et tellement prévisible ; et tellement dispensable.

La petite môme s’agite, et elle essaye d’arracher le masque qu’elle a sur le visage. Alors la Spectre, l’en débarrasse en faisant attention de ne pas lui tirer les cheveux. Elle a des gestes de maman ourse, et une voix douce pour murmurer “voilà voila”. Alors la jeune fille revient à elle se met à pleurer en appelant :

– Maman ? Maman ?

MDK, s’approche, elle fait trop de bruit, mais en fait il y a du bruit partout. Tout l’hôpital se met à bruire de réveils et de guérisons, ça commence à courir dans tous les sens. Quelqu’un peut entrer d’une minute à l’autre, il faut faire vite.

– Mademoiselle ?

Mais la demoiselle ne sait que pleurer, et la Spectre ne sait que la bercer contre son sein.

Méca ?

Spectre ?

– Je vais vous demander de sortir, s’il vous plaît.

– De sortir ?

– Oui, c’est mieux pour elle.

– Mais comment ?

– Ah oui.

Elle dépose  la tête de la jeune fille sur l’oreiller, lui promet qu’elle revient tout de suite. Puis elle se lève, et prend les deux bras de MDK.

– Vous me faites passer le mur et je vous attendrai dans l’escalier, en espérant ne pas trop me faire remarquer.

– Non, j’ai une meilleure idée. Mais je vous préviens, ça va être bizarre.

– C’est à…

Il n’a pas fini sa phrase, qu’ils sont sur le toit.

– … dire ? Vous avez fait quoi, Spectre ?

– Je nous ai téléportés.

– Comment vous…

– Je vous dirai après, il faut que j’y retourne. Je risque d’être un peu longue. Mais bon, vous avez ce coup de fil au QG à passer, que vous n’avez pas pu faire en vol puisque nous étions chargés. Et puis vous avez votre exosquelette préféré à enfiler aussi.

– Vous savez téléporter… mais depuis longtemps ?

–  Je ne sais pas. Il faut que j’y aille, elle m’attend et elle a mal.

Et avant qu’elle disparaisse à nouveau, MDK a juste le temps de se rendre compte qu’elle pleure elle aussi à chaudes larmes. Et pouf.

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