Jusqu’à présent, je m’étais tenu à l’écart des écrits d’Annie Ernaux du seul fait que ses inconditionnels sont apparus d’un coup dans mon existence dans les années 90 avec la même passion blet et peu lettrée qu’auparavant les inconditionnels de Duras dont il devaient être des genres d’engeances ou de produits dérivés. J’ai toujours craint quant à elle d’avoir affaire à une manière de chaînon manquant qui pouvait avoir légitimé aussi bien Christine Angot que Solange te parle et/ou l’eau de cuisson des patates, en vrac.
Et puis v’la qu’on lui a décerné le prix Nobel de Littérature. Je ne l’ai pas vu venir et c’est bien fait pour ma gueule. J’y ai vu l’occasion d’avoir eu tort pendant toutes ces années. J’aime tellement battre ma coulpe. J’ai décidé de la lire.
Dans passion simple, un robot de combat est envoyé du futur à notre époque, enfin dans les années 80, pour tuer la mère du chef de la résistance qui met à mal la suprématie future des machines sur nous autres les humains. Sa mission c’est de l’éliminer avant même qu’elle conçoive l’enfant. Dès l’incipit le robot apparaît tout nu dans une boule d’énergie qui doit avoir trait aux choses du voyage spatio-temporel, c’est très bien narré, et le robot est anormalement musclé, et quand il sonne à la porte de la Sarah conor, qui est sa cible, on se rend compte qu’il a deux incisives vraiment proéminentes et puis Sarah conor ouvre et le robot lui demande “hé quoi de neuf docteur”.
Et là, tout de suite, on est happé.
Non en fait Passion simple ne raconte pour ainsi dire rien, un état amoureux douloureux, mais pas trop, un précipité de langueur, une descente d’organe, essaye de nous intéresser au verbiage courant d’une égotique bon teint en proie à un passionnel assez morne et moumou. Il y a une volonté d’écrire au plus simple, de refuser les effets de style, une volonté de ne pas tirer sur la longe qui relie le bien peu de péripéties au nombril de l’autrice ; tout ça c’est une marque de fabrique, c’est ce qui fait qu’Annie Ernaux est Annie Ernaux et que je suis un ignare un philistin, en plus d’être probablement un con. Mais la vérité c’est que cette dame se retient d’abord tout juste d’écrire sous elle. Merci à elle .Parce qu’elle a de la tenue. Néanmoins pour revendiquer son impératif du simple, elle est très maniérée, mémère… madame. Elle accumule comme personne les clichés stylistiques. Vraiment. C’est un best off. C’est foutraque de conformisme, éperdu de banalité et de tournures pour rien. Pour rien. On se croirait chez Nadine de Rotchild.
J’ai la main lourde alors qu’en fin de compte ce n’est pas ultra mauvais. C’est écrit en français courant. Ce n’est pas honteux, ça se tient. C’est juste au-dessus de l’écriture domestique, dans le petit cercle narratif de soi qu’on trimballe de Florence à Copenhague, dans des chambres d’hôtel, des magasins de fringues, des musées, enfin partout où l’amour courtois donne son plein rendement. Ça doit bien en toucher une à quelqu’un quelque part, je ne me rends pas compte. Après, le pépin que j’ai avec cette œuvre, c’est le label prix Nobel. Non pas qu’on lui ait décerné. Ça arrive. Des fois, il arrive des trucs, des tuiles tombent des toits, l’ASSE est reléguée en deuxième division, le groupe Abba se reforme, en Ukraine ils vont bientôt mobiliser les fillettes pour qu’on ait raison à tout prix. Les choses arrivent tout le temps. Ça ne me dérange pas qu’on lui ait attribué le prix Nobel. Mais elle, elle l’a accepté. Ça pose vraiment l’aplomb de la dame. Alors que d’évidence à la lire, elle n’est pas complètement perchée. Elle est lucide autant que moi, et elle a probablement lu plus que moi- parce qu’elle a eu le temps, elle… elle sait très bien qu’elle ne le mérite pas, le prix Nobel. Que pendant des années elle ait pu flatter une niche de précieux en livrant pour la rentrée littéraire une littérature doudou, moi ça me va. Hanouna me va au pire. Mais au moment où son nom a circulé pour le Nobel, elle aurait pu dire, hé les gars on redescend hein. Il y a plein de gens qui font de la littérature à l’os, moi c’est juste que j’ai le tampon, “prof, télérama, gaugauche et droidroite” et qu’effectivement je ne dérange personne. Personne. Il n’y a pas un livre, pas une pétition que j’ai signé qui n’a pas confirmé tout un chacun à sa place dans le cosmos. Je parle des tout un chacun qui me lisent dans le cosmos restreint dont je parle et auquel je parle, les autres je préfère ne pas savoir qui ils sont. Les autres sentent mauvais. À un moment donné… Au pire j’ai le numéro de Quignard si vous voulez.
Elle n’a pas dit ça, Mémère, Annie Ernaux. Donc oui si je la lis, j’ai la dent un peu dure. Après bon Barak Obama a “encaissé” son prix Nobel de la paix, il doit figurer sur sa carte de visite, sur son linked’in, par contre sur son âme il doit juste y avoir tatoué le chiffre 8 pour 8 guerres, Guantanamo en capitale, et les prénoms de plein d’ enfants morts sous les bombes, le gars est prix Nobel de la paix. Donc notre Annie à côté, c’est plus ou moins une branleuse. D’ailleurs elle en parle dans passion simple, mais ça nous intéresse tellement.
On m’a dit que son oeuvre n’était en substance nulle part autant que dans “la place”. Que j’ai trouvé chez Emmaüs hier. 115 pages, ça se tente. S’il s’avère que j’ai vraiment été le con que je suis, je reviendrai m’excuser, demander pardon, faire Kétou. Dans le cas contraire, je ne reviendrai pas pour la deuxième couche. Je devrais être fixé en 20 pages.