– Ça, c’est du comité d’accueil.
La Guéparde assise en tailleur sur le toit de son Hummer et Teflon qui danse des genoux de l’autre coté de la rue avec son casque sur les oreilles ont eu tous deux un petit élan d’espoir en entendant la voiture arriver et leur déception est parlante quand ils découvrent qui vient de tourner dans la ruelle. Le commandant Cellor s’arrête au milieu de la chaussée. Ce n’est pas la place qui manque malgré les cinq ou six voitures des gens de sa brigade et la camionnette de la scientifique, mais quand même ces justiciers ne manquent pas d’air. Ils avaient tout loisir d’être moins encombrants.
– Il va falloir se débarrasser de ces deux cons si l’on veut travailler sérieusement ; une idée, sergent ?
– Qu’est-ce qu’ils font là au juste à attendre ?
– Justement, ils attendent. Une dépanneuse. Regarder leur voiture de boloss… Houard m’a envoyé un texto et une photo pour m’avertir. Mais c’est plus beau en vrai… n’empêche que je n’aime pas les avoir dans les pattes.
– La dépanneuse, ils peuvent l’attendre. Dimanche ne finit que ce soir à minuit. Par contre… on peut leur envoyer la fourrière. Ils sont quand même garés comme des rois du pétrole devant le portail de la résidence, et regardez cette mare d’huile sous leur similiblindé. Moi je dirais une prune majorée à 82€ pour le stationnement gênant et 82 de plus pour le remake de l’amoco cadiz. Plus la fourrière, et le taxi pour rentrer. Si avec ça, ils prennent une glace à l’entracte, Mac-do en sortant, ça leur fait une chouette sortie familiale. Après, le pépin, c’est qu’il va falloir trouver un gars à la fourrière qui ne s’enfuit pas en courant en voyant la dame.
– Ou le grand gamin.
– Je trouve que la dame fait plus peur. Déjà, elle fait salope. C’est son droit, je ne dis pas. Mais salope méchante, et là ce n’est pas pareil, chef, ce n’est pas pareil.
Elles trouvent à se garer un peu plus bas dans la rue, et leur extraction de la voiture constitue mieux qu’une distraction pour tromper l’ennui des deux freacks : un spectacle. Mais les deux policières ne peuvent pas être moins bien assorties. À vrai dire, la Guéparde trouve que la compagnie de la petite sergente bégueule qui porte un fusil plus grand qu’elle ne peut seoir à personne. C’est comme ça, il y a des choses et des couleurs qui « vont avec tout ». Et puis il y a des gens, c’est le contraire.
L’accès à la scène de crime n’est pas gardé. La rue, déjà presque inhabitée, l’immeuble étant évacué, il n’y a pas de raison de blâmer l’équipe qui a investi les lieux. Par contre, ça n’a pas l’air de trop s’agiter là-haut. Pas un bruit. Et de fait, quand elles arrivent au troisième, elles ne trouvent personne. Il est censé y avoir au travail la Capitaine Lerdon et ses trois équipiers. Et puis Houard et les trois siens. Pas forcément tous ensemble, mais au moins partie de ceux-là. Et non : personne. Tout a l’air d’avoir été laissé en plan.
– Ils ont peut-être trouvé quelque chose plus haut, patronne.
– On va voir, mais bon, plus haut c’est le grenier, puis c’est le toit.
En montant, Jézebel Cellor fait sonner le téléphone de son lieutenant. Mais en vain. Voilà qu’il recommence… elle laisse un message sec et sans appel :
– Je suis rue des Prés et vous ? Vous me rappelez, lieutenant, merci.
On accède aux combles par un escalier en bois qui sent la poussière, et qui ne peut pas avoir été foulé par huit bipèdes tantôt. En haut, la porte est fermée, Cellor a la possibilité d’aller chercher sa radio dans la voiture, mais à quoi bon ?
– Vous pensez qu’ils sont là, vous ?
– S’ils sont là, c’est pour nous faire une farce alors. Parce que je n’entends pas un bruit.
– Merde alors, on est censé avoir qui de chez nous ici ?
– Comment je saurais, patronne ? C’est vous qui faites les équipes.
– C’est le brigadier Jeanmaire qui m’a appelée ce matin d’ici. Oui, voilà, c’est lui qui gérait le voisinage avant que je le fasse relayer par Houard.
– Je ne l’aime pas Jeanmaire.
– Ça m’étonne de vous. Et puis, lui, il vous aime bien en plus.
– Vous déconnez ?
– Oui.
Jeanmaire ne répond pas non plus. Qu’est-ce qu’il font ces cons ? C’est une journée à thème, c’est ça ? Aujourd’hui tout le monde disparaît ? Elle laisse un message plus protocolaire sur la boîte vocale du brigadier, mais qui le somme de donner au plus tôt des nouvelles. Sinon, il lui reste à appeler la miss Lerdon, mais elle se la garde comme solution de désespoir. Elle l’a déjà sollicitée comme standardiste pour atteindre Houard il n’y a pas deux heures. Elle l’aime bien, mais elle va finir par croire qu’elle ne tient pas ses hommes.
De retour dans l’appartement des crimes, toujours pas un bruit. Le matériel et les notes des scientifiques sont laissés en plan, il y a même deux ordinateurs et un téléphone portable. Le commandant Cellor le prend, le ranime, journal d’appel, le dernier appel est entrant et c’est son nom à elle qui apparaît : « Jez Cellor ». Voilà pour joindre Lerdon, c’est mort. Dans le salon maculé de confettis, et crépi de jaillissement de bière et de ponch, une porte vitrée donne sur une petite terrasse. Thelma Bedarride doit se hisser sur ses coudes et ne plus toucher le sol pour se pencher vers le bas. Il n’y a rien dans la rue, pas un bruit, sinon les pas lourds du gamin métallique qui maintenant s’est trouvé deux mètres carrés de gravier pour tourner en rond. Ces deux zozos ont sûrement vu toute l’équipe s’en aller.
– Ça me fait mal au ventre, mais je crois qu’on va devoir demander à ces charmants quidams s’ils ont vu nos gars.
– C’est peut-être eux qui les ont fait disparaître. Le gamin, je le vois bien manger votre Houard comme un Flamby.
– Oui, mais Jeanmaire ?
– Non, Jeanmaire, ce n’est pas possible. On ne peut pas faire n’importe quoi avec les lois de la physique élémentaire.
– N’empêche que vous avez raison, je vais peut-être appeler des renforts.
– Je crois que des renforts ne vous serviraient à rien avec des machins comme ça. Je veux dire que même si ce ne sont pas eux qui ont fait disparaître nos huit gars, enfin plutôt les vôtres, ils sont tout à fait capables de le faire. Alors pas aussi proprement, et c’est pour ça que je ne pense pas que ce soit eux, mais, dans le doute, à votre place, si je devais appeler quelqu’un, je prendrais un vieux de la vieille.
– Cristo ?
– Je n’aime pas Cristo. Mais oui, c’est à lui que je pense.
– Il ne va pas être content.
– Visiblement, vous n’êtes pas à ça près.
– Oui, c’est vrai. Je l’appelle.