Expression corporelle

Frida a débarqué hier et j’ai été inadéquat, c’est-à-dire que j’ai trimballé d’un instant à l’autre un sourire d’incident technique indépendant de ma volonté – Et depuis, le sourire je le garde, quitte à ce que ce soit celui de la plus petite des poupées gigognes enceinte à craquer de la plus grande. Je lui ai parlé à sa descente du train, elle a compris essentiellement à ma tête et a monté sa valise chez elle. Ce n’est pas la première fois que je la quitte, la nouveauté en la circonstance c’est que j’en ai pris la décision pendant qu’elle était en vacances. Et ça a fait ce bruit-là de la quitter, un peu dzoing, pour le bruit de la catapulte, le petit nuage de poussière et puis un truc qui reste un moment en suspension, allez disons sa culotte, et qui ne tombe en feuille morte que quelques secondes après qu’elle a disparu. Elle est revenue en souriant, et depuis j’ai l’humeur Buren, grise avec des rayures grises, et l’indistinction ne fait pas tout l’ennui ; je me suis hâté d’aller crever ma bulle de gros chagrin dans le parc en bord de Saône et de jeter du sable (ici il n’y a pas de cailloux) loin là-bas vers la confusion semi-gazeuse de l’horizon.  Le vent venant de face m’a donné une bonne raison de voir flou.

On s’était prévu s’il faisait beau (et il a fait merveilleux) un pique-nique au stade municipal (il y a plus bucolique mais c’est ultra extra-muros) avec les filles et Sandro. Et puis les habituels greffons. Dada, la compagne de Sandro, est partie pour le week-end pour ses affaires à Marseille ; Bécassine hors-jeu elle aussi, elle avait une excuse, elle pré-inaugurait sa nouvelle conquête chez sa sœur aînée. Rendez-vous 19H30 derrière les cages vers l’aire des lancés, dress-code rien de spécial, c’est dommage j’avais plein d’idées crétines. On s’était bien réparti les tâches organisationnelles : Annabelle et Gaby devaient aller chez Ikéa avec un mètre à enrouleur tout l’après-midi, Danette devait mettre du vernis à ongles à Lison, et les autres ne pas en ramer une selon les modalités qui auraient leurs agréments, et donc Frida et moi on a fait les courses, ça s’est trouvé comme ça.

Elle était affligeante : sa robe droite de 2,7gr, nu-pieds assortis, ses cheveux dérangés comme de l’herbe, ses épaules et son dos, ses petites gambettes, son humour vachard à la traque du trompe-l’œil et cette façon d’avoir les petits gestes qui rendent propices à l’autre les petits bouts de monde qu’elle peut agencer. Ah ! la vie Auchan, j’ai vite commencer à zézayer, à faire mon Garcimore et à tenter des tunnels de robes à l’entrée de ses aisselles. Bref à aquaplaner avec mon caddie dans les rayons d’une trop grande surface sublunaire et climatisante…  Zapper ! j’ai proposé qu’elle fasse la queue à la rôtisserie pendant que je filais chercher l’à boire et le reste de l’à manger, et je suis parti pour toujours. Au retour, j’ai pris cinq minutes pour hyperventiler au rayon surgelé en la regardant de loin. J’étais bien, là, à ma place, et étrangement soulagé de constater que décidément ma place n’était localisée qu’autant qu’elle entérinait les conquêtes de ma soumission. Mais bon, c’est difficile de se déprendre d’avoir eu à jouer le rôle du démiurge de la désaffection.

On est passé chez moi stocker les courses au frais, elle a jeté un œil un peu partout, vite, on n’a pas musardé ; en bas je me suis adossé à la porte de l’allée pour la laisser passer en regardant ailleurs, vaguement derrière elle, et j’ai enduré vaillamment les petites trombes perforeuses de son parfum quand elle est passée. Vaillant, le gars. Par contre j’ai dû me pétrifier un peu de trop dans sa traîne, parce qu’elle m’a dit :

– C’est bon Sal, tu peux fermer, je suis toute sortie.

J’ai articulé ce que j’ai pu avec seulement les consonnes à ma portée et j’ai vérifié quand même : effectivement dans l’allée il n’en restait rien.

Sinon le pique-nique, rien de saillant. J’ai regardé en l’air ou mes poils de mollets, les arcs de cercles concentriques où vont fuser les javelots et les ailes du nez de Sandro qui sont le medium d’un tic exaspérant quand il s’apprête à dire une énormité – c’est à dire tout le temps. J’ai dédié mes blancs d’œil à une robe légère, et c’est tout. Ah ! si : je me suis assis sur Paco. Paco c’est le fils de Dada et Sandro, il était posé sur la nappe à l’ombre avec ses petites papattes de crapaud en l’air et ses faux airs de Raymond Barre. Bon bien sûr tout le monde s’est mis à hurler et j’ai eu vraiment peur. Voilà, je me suis assis sur un nourrisson, je ne suis pas sûr de le rajouter dans mon CV mais j’ai trouvé que pour un acte manqué ça a été de l’expression corporelle très adéquate et surtout très réussi.

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