J’ai le ventre en instance d’irruption et comme une tectonique des plaques sous le cuir chevelu. Pour bien faire, il faudrait que je me fasse vomir, ou que je me rouvre la fontanelle pour que le pus que j’ai dedans gicle à l’extérieur. Mais je n’ai que le courage d’y penser et de n’en rien faire, et c’est bien assorti au QI de portion de colin pané que je me traîne depuis que je suis levé. La vérité c’est que tout ça va mal finir. Frida, ma chérie mon amour, Frida me l’a dit :
– Avec ce que tu infliges à ton corps, ça va se finir que la mort va te trouver à l’état de loque, et qu’elle ne va pas savoir au juste quoi faire d’elle-même dans le fatras de bas organes viciés que tu es devenu, mon pauvre Sal… Et puis tu as la braguette ouverte.
La braguette ouverte, c’est moi qui le rajoute, mais c’est vrai que moi je ne vois que ça à l’instant dans la glace. Alors que ce n’est pas ce qui saute aux yeux d’abord : je ne ressemble plus à rien, tout mon corps, de mes ongles au grand flasque pendouillant de mes triceps, tout s’étiole, s’effiloche, s’émiette. Je n’ai pas de cheveux et j’arrive à avoir des pellicules, est-ce que ça a un sens, ça ? Ou alors c’est que je pars en poussières, et ça n’aurait rien de si extraordinaire quand on voit mon état et mon teint jaunâtre: on pourrait me croire en poudre, comme en moisissure.
Je devrais m’inquiéter, mais je n’y arrive pas. Pourtant, ce n’est pas pour me vanter, mais comme anxieux, comme trouillard même, je suis ce qui se fait de mieux dans le quartier. Flipette c’est mon deuxième prénom. J’en ai les genoux qui sont devenus cagneux à force, et je peux casser une noix de pécan dans mon sillon interfessier, tellement j’ai le cul musclé par le suspens et les jumpscares de la vie courante. Il faut dire que la trouille, on nous la vend bien ces temps. Bien et à profusion. C’est le produit phare des vingt/trente dernières années, la trouille. Si tu n’éteins pas la télé pour dormir, tu peux te tourner les sangs h24 ; c’est sans fin et une raison d’avoir peur chasse l’autre. Ça a été les Russes, la menace nucléaire, le sida, Tchernobyl, les banlieues, la bite à Griveau, la chtouille et autre covid et ses variants, je ne sais pas ce qu’on a fait à ceux-là qui se sont intercalés entre le ciel et nous pour en arriver là, mais visiblement il y a une intelligence à l’oeuvre qui s’est donné mission de nous faire chier mou de trouille jusqu’à la fin des temps.
En ce moment c’est le climat. Ce n’est pas qu’en ce moment, ça fait même lurette que ça dure, mais en ce moment, c’est de ça qu’on doit se morfondre et se manger les mains : le trou dans la couche d’ozone, le continent de plastique, les algues invasives, les guêpes asiatiques, le groupe Indochine, les inondations, tout ça c’est maintenant où jamais qu’on doit s’en prendre des tombereaux dans nos gueules ouvertes. Et puis on sent bien, on fait tout pour nous le faire sentir en tout cas, que le problème vient de nous. Toi, moi, nous. Pas Nike, pas Total, pas Amazon, pas les Chinois, mais toi et moi : nous autres les lambdas. Moi, je suis d’accord et je veux bien prendre sur moi et pisser dans la douche ; essaye de m’en empêcher même. Je n’ai pas les joues de me défausser, vu l’état dans lequel j’ai mis la génétique de rêve dont la nature m’a doté de base. Mais est-ce qu’on ne va pas un peu loin dans la culpabilisation et la terrorisation des masses ?
Il y a des gens qui poussent le tabassage de coulpe vraiment loin. Si le problème c’est les humains, il y a des humains qui prennent sur eux de ne plus concevoir d’enfants pour ne pas engendrer de fautifs supplémentaires et sauver la planète. Le calcul n’est pas si crétin qu’il en a l’air. Pour ne pas laisser un monde trop à l’agonie aux générations suivantes, leur solution c’est de ne pas prévoir de génération suivante. Si si c’est crétin, c’est complètement crétin même. Est-ce qu’une espèce qui en est rendue là, finalement, ne mérite pas de s’éteindre ? Pire : dans la bande il y en a des radicaux. Des qui se font stériliser pour être sûrs : castration à serpette pour les plus investis. Et sinon, vasectomie.
Vasectomie…
J’ai fait ça moi, vasectomie. Pas pour moi, pour un chat que j’avais trouvé par terre et qui devait coexister dans ma toute première colloc avec trois chattes déjà dans la place. Je l’ai fait opérer pour ne pas être grand-père. Et pour sauver la planète aussi un peu. Je ne sais pas. La vasectomie ce n’est pas une opération traumatisante, c’est même de la gnognotte : on ouvre le chat dans la jonction abdo-cuissale après l’avoir rasé entièrement, on met des écarteurs, un spéculum à tambour, ou des démonte-pneus dans l’ouverture pour ne pas être à l’étroit, et puis on coupe les canaux déférents le plus loin possible des testicules et on les draine moyennant un embout Y (2mm) en élastomère dans l’urètre. Et pof, le tour est joué. Et à moins que le chat ne fasse pipi pendant l’accouplement, ce qui n’arrivera pas s’il est élevé dans le respect des Saintes Écritures, les minettes ne risquent rien, absolument rien, sinon un bien mauvais moment – parce que c’est violent pour la fille, le coït du chat. Par contre, c’est sûr, pendant six ou sept mois il va couiner dans sa litière, et ce sera à cause des grumeaux. Mais pour ce qui est des suites opératoires, rien de spécial. Le chat va avoir un réveil d’anesthésie complètement abruti comme tout le monde – le plus drôle c’est de le mettre en haut d’un escalier – et on va lui enfiler au cou une espèce d’abat-jour en plastoc à l’envers qui a deux avantages : un, il ne lèche pas ses pansements et ne défait pas ses sutures. Deux, mais ça, c’est pour les connaisseurs, on peut le sodomiser tant qu’on veut, il ne saura jamais qui c’est.
Bon, je me suis peut-être un peu égaré…. Mais on parlait de l’état où est en train de se rendre doucement et sûrement le monde, et je me dis que l’un dans l’autre, si chacun au moins fait sa part, comme moi, à moins de croiser un trou noir maintenant dans le vide interstellaire… Je ne dis pas qu’on est sur la bonne voie, je dis juste qu’avec des cornes et une barbichette, les chats font de bons boucs émissaires.
Et qu’ils ne l’ont pas volé.