Jawoll

La consécration planétaire au Toxic, c’est pour ce soir, et je me suis réveillé avec un joli herpès de stress, pile sous le nez, une petite moustache en croûte, comme celle de… Hitler, oui oui. C’est du plus bel effet, vraiment. Heureux d’avoir écouté notre manageur qui m’a intimé l’ordre de m’octroyer une soirée cocoon et une pleine nuit de sommeil, une vraie veillée d’armes en somme, parce que je sais trop l’odieux chambrage que m’aurait fait subir Nathalie Gonthier si elle m’avait découvert comme ça au levé.

Je n’ai par contre pas pu échapper, au local de répétition, à ces hyènes intraitables que sont Amos et Fanfan, et même la gentille Lulu, gentille n’a qu’un œil, s’est fendue d’un très incorrect et très honteux “Jawoll Herr Castaner” quand je lui ai demandé si elle était fortiche en astuce de fille et en plâtreries diverses. Après le petit déjeuner, elle m’a installé sur un tabouret vers la fenêtre pour avoir de la lumière, et m’a appliqué d’épais onguents réparateurs, puis des cache-misère, mais à sa façon de dodeliner de la tête j’ai su que c’était peine perdue, que ça se voyait encore comme juste en dessous du nez au milieu de la figure.

Devant ma mine défaite, Amos est arrivé à la rescousse et n’a rien trouvé de mieux pour me réconforter que de me lire l’horoscope du jour :

– Gémeaux : ce n’est pas le moment de vous faire remarquer, votre attitude égocentrique pourrait finir par vraiment lasser quelqu’un qui vous est cher.

Ma vie est tellement foutue.

Répétition et débriefing écourtés ensuite, assez vite on a lâché l’affaire et on s’est posé en terrasse devant la Martinière pour fêter d’avance le concert de ce soir ; notre manager, ce faux derche de métier, avait des tombereaux d’éloges à nous délivrer, ainsi qu’une petite liste de bonnes nouvelles : 1/ la chanteuse et le bassiste des Flagada’s se sont séparés à grand fracas (mon Dieu mon Dieu…) et toutes leurs dates de festoches de fin d’été sont à nous, il a calé ça d’autorité avec leur tourneur : on les remplace au pied levé partout et déjà samedi on joue à Vallon pont d’arc… 2/ Miss Carat Consulting (c’est moi qui l’appelle comme ça) la chasseuse de têtes parisienne, qui est venue nous voir au Gibus, n’est plus seule sur le coup. Samedi, notre manager a croisé à TF1 une amie qui a un label de trash-pop post-expé hard-indus, autant dire une haute-mélomane qui est prête à nous signer là, tout de suite, dans les buissons, comme des bêtes. 3/…

Et là, il allait replier son troisième doigt, quand un petit gars tout photosensible et duveteux, l’étudiant en art alpha, s’est tenu tout droit devant moi, et il a fallu que je le fasse répéter, mais il s’est quand même avéré qu’il voulait savoir si j’étais bien les Pissenlits (sous-entendu et ses musiciens anonymes ?) et si subséquemment je pouvais lui signer un autographe… alors bien sûr Lyon c’est petit, mais jusqu’à hier c’était trop grand, et le changement d’échelle m’a vraiment perturbée. D’ailleurs quand on est parti ces deux saucisses d’Amos et Lulu ont singé, en m’abritant derrière eux et en brandissant haut des pistolets de doigts, tous les gestes des gardes du corps exfiltrant d’un bain de foule une star internationale.

(années 80)

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