Vanina §33

Le lieutenant Houard se remet. C’est dommage que La Spectre Noire ne soit plus là pour évacuer les bobos à mesure qu’ils adviennent. Il a encore fait un début de malaise à brasser tous ces papiers qui ont été un temps imprégnés de GHB.  Mais c’est sans doute psychologique, parce qu’il n’en reste que la trace, l’auréole, et effectivement cette odeur têtue. Mais celle-ci n’a aucun effet sur le commandant Cellor et l’agent Cristo. La sergente Bedarride est restée hors de la benne bleue, estimant qu’il y avait déjà bien assez de monde au mètre cube. Et puis elle s’est déjà fendue d’escalader le portail du parking, et la grimpette ce n’est pas ce qu’elle préfère :

– Vous trouvez quelque chose, patronne ?

– Non, à part les reliquats de drogue. Je vais envoyer du monde faire des relevés d’empreintes. Je commence à me dire que ces justiciers masqués ont des choses à nous dire que nous savons déjà. La manière dont les évènements se sont enchaînés depuis ce matin commence à dessiner une image bien tordue de ce qui a pu se passer. Bon, vous récupérez, Houard ?

Le lieutenant fait oui de la tête, mais à vrai dire, il faudrait qu’il sorte de là et qu’il marche un peu. L’agent Cristo, leste et vif comme un vieux et gros cabri, se hisse tant bien que mal sur le bord de la benne et lui tend la main. Il décline l’aide, hisse sans mal ses 63 kilos et retombe sans grâce sur le parking ; et avec sa tête qui tourne, ça l’oblige à mettre les deux mains au sol. Son téléphone portable en tombe de sa poche. Jézebel Cellor saute à côté de lui, l’aide à se relever.

– Ça va aller mieux ? Vous voulez que je sonne les pompiers ?

– Non, c’est bon, il faut retrouver Lerdon. J’ai peur que ces gens masqués nous fassent perdre du temps. Même si sans eux, je ne serais pas là pour m’impatienter.

– Et moi, je crois qu’ils sont la piste à suivre. Non pas que je les soupçonne. Mais ils sont impliqués d’une manière ou d’une autre. Peut-être à leur corps défendant, comme vous, Houard.

– Comme moi ? Qu’est-ce que vous voulez dire ?

– Juste que les deux cadavres masqués qu’on a sur les bras vous cherchaient, et vous filaient le train avant de passer de vie à trépas.

– Oui, mais je ne sais pas pourquoi, je vous le promets.

– Je vous crois, c’est pour ça que j’ai parlé de votre corps défendant.

Houard est quand même bien gourd avec tout ça, son téléphone manque de lui échapper avant qu’il le remette dans sa poche, et du coup s’allume. L’écran tactile s’emballe et ouvre applications et onglets à la volée. Qu’est-ce que c’est pénible ces trucs, aussi ! Houard ferme un lecteur de QR-code, un navigateur internet, la calculatrice et son journal d’appel… non, un instant : il  a tous ses appels à Lerdon, tous les appels du commandant Cellor, son aînée à midi et un numéro plus long que les autres l’interpelle. Il date de ce matin.

– Un numéro qui commence par 044, c’est un numéro à l’étranger ?

– Oui, c’est l’Angleterre.

– Alors quelqu’un a appelé l’Angleterre avec mon téléphone ce matin. Je ne pense pas avoir pu composer le numéro accidentellement. Et ce matin, j’étais à la brigade, et à part vous patronne, peut-être vous, Cristo, je ne sais plus, il n’y a que deux personnes qui ont pu s’approcher de mon téléphone, voire l’utiliser à mon insu.

– À quelle heure l’appel ?

– 9h37…

– Rodriguez.

– Oui. Qu’est-ce que je fais ? Je rappelle ? Pour voir qui répond ?

Les trois autres se sont rassemblés autour de lui, alors il met le haut-parleur. La numérotation n’est pas si longue et la sonnerie pas si différente, un entend un clac de transfert d’appel. Puis quelqu’un décroche, une voix d’homme, un accent anglais prononcé :

– Je vous écoute.

– Bonjour, Monsieur, lieutenant Houard, de la police nationale Francaise, puis-je vous demander qui vous êtes ?

– Derek Penitent, que puis-je pour vous, Monsieur ?

– Quelqu’un vous a appelé avec mon téléphone ce matin, pouvez-vous me le confirmer ?

– Oui, et j’ai reconnu votre numéro, c’est d’ailleurs pour ça que je vous ai répondu en français. Avec mon affreux accent.

– Savez-vous qui vous a appelé ce matin ?

– C’est pour une enquête ? Vous êtes vraiment de la police ? Non, je ne sais pas qui m’a appelé, je sais seulement que ce n’était pas vous. La personne parlait anglais, mal, mais anglais. Un homme.

– Et que voulait-il ?

– Je me le demande encore, Monsieur. Je pense que c’était une erreur.  

– Pourriez-vous me dire ce qu’il vous a dit ?

– Hélas non, je n’ai pas compris. Il était bizarre, essoufflé et son accent… ça ne voulait rien dire. J’ai essayé de lui parler en français, mais il s’est excusé et il a raccroché.

– Bien merci monsieur, et pardon pour le dérangement. J’espère ne pas avoir à vous rappeler.

– Ainsi j’espère. Bonne nuit, monsieur.

Quand il raccroche, c’est à celui qui tord le mieux la bouche autour de lui. Personne n’y croit de trop au bobard Derek Penitent. Il y avait des bruits étouffés derrière lui, il n’était pas seul. Le commandant Cellor claque sa langue et choisit de parler à voix basse :

– Bon, j’ai l’impression qu’on pense tous la même chose. À deux ou trois détails près, je pense qu’on est tous d’accord qu’on vient de mettre le nez sur un sale petit secret d’État. Moi je suis d’avis que tout ça, c’est comme le linge sale, on n’a pas de raison de l’étaler au grand jour. Je crois que nos héros masqués sont là pour nous aider. Je parle des deux auxquels vous pensez aussi. Ils sont là pour nous aider, parce qu’ils sont là un peu malgré eux. Je crois qu’ils ont été pris dedans. On va jouer leur jeu, et tenir nos langues. Sauf bien sûr s’ils imaginent pouvoir nous rouler dans la farine à l’avenir. Est-ce qu’on est d’accord ? Houard ?

– C’est bon pour moi, s’ils nous aident à retrouver Lerdon. Sinon…

– Sinon, je suis d’accord, on avise.

Bedarride et Cristo aiment bien le plan aussi, et Cristo dans l’enthousiasme donne même sa main à toper à la petite sergente. Mais elle le calme bien vite, et juste avec ses sourcils.

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