Vanina Ah Ah §2

§2

– C’est toi qui as chié dans mon froc ?

Cette voix, c’est un cauchemar, c’est celle d’un mangeur d’enfant des Carpates, et l’énorme index accusateur qui rentre dans le plexus de Jean-Jo, on dirait un coude tellement c’est brutal. Mais au moins, c’est assorti à l’immonde puanteur, et ça dit assez qu’on va pouvoir se dispenser de plus de civilité. La clé de doigts, ce n’est pas loyal, mais c’est le moment ou jamais de s’en tamponner du chevaleresque. Jean-Jo saisit l’index à pleine main et le rabat d’un coup sec sur le poignet. Sans son exosquelette, il ne sait pas doser sa force propre. Alors il met tout ce qu’il a et l’on entend assez bien le crac sinistre avant que le gros gars dégueulasse se mette à hurler. Jean-Jo est debout, pendant que l’autre tout beuglant et tout plié en deux s’en va se cogner la tête à la porte métallique. Le jour s’est levé, et l’on y voit presque trop clair. Le type qui hurle est une grosse masse, et son pantalon semble empli jusqu’à l’arrière des genoux, à ce point qu’il ne peut pas y avoir que du caca là-dedans, personne ne peut en produire autant, il doit y stocker autre chose, peut-être des pâquerettes et des chatons morts. Mais quoi qu’il en soit, il est peu préoccupé par tout ce fret, non, lui ce qu’il a en tête visiblement, c’est attaquer le gars Jean-Jo, et à la trogne qu’il fait on sent qu’il veut mordre – voire carrément manger la personne.

Mais Jean-Jo a les bottes de MDK aux pieds. Elles sont lourdes, mais le type en face est lent et prévisible. Alors le pied gauche part, basique, pendulaire, pan dans les couilles. Mais bien bien.

Le hurlement est primal, en ligne directe de la forêt préhistorique, et de nos ancêtres à écailles, bien avant l’invention des vertèbres et de toutes ces fioritures-là, Jean-Jo qui était parti pour allonger le gars pour le compte d’un autre coup de pied à la tempe, en reste stupéfait et interdit. Et d’une certaine manière son hésitation le sauve d’en faire trop, puisqu’une voix se fait entendre à travers la porte dans un cliquetis nerveux de trousseau de clés :

– Chérubin ! Tu vas fermer ta gueule oui ?

Et la porte s’ouvre brutalement, poussée à la grosse colère par deux flics en uniformes débraillés, qui cognent dans l’élan le gros merdocul gueulard, qui n’en demandait pas tant pour s’étaler à plat ventre. Les deux flics marquent aussi un temps d’arrêt devant la situation – l’odeur doit jouer également un peu. Mais pas seulement. Le premier entré, met sa main à son tonfa, et désigne Jean-Jo d’un doigt autoritaire :

– Monsieur, reculez au fond de la cellule, et gardez vos mains bien ouvertes et bien en évidence. Je veux les voir.

L’autre flic s’accroupit en éventant autant que possible son nez avec sa main à plat près du gros hurleur :

– Chérubin ? Qu’est-ce qu’il y a ? Mon salaud tu pues plus qu’une vache morte, on va encore devoir te passer au jet et brûler tes fringues. Mais pourquoi tu hurles ?

– Il m’a tapé !

– Non, mais voilà qu’il chiale maintenant… Qui t’a tapé Chérubin ? C’est le monsieur là ? Monsieur ? Vous avez tapé Chérubin ?

Jean-Jo ne sait pas trop comment tourner la chose. Il est tellement content de voir des policiers, déjà parce que ça veut dire qu’il est hors de danger, et qu’il va enfin avoir une explication sur ce qu’il fait là. Il tente déjà de répondre à la question du moment : a-t-il oui ou non tapé Chérubin, mais tout ce qui lui vient, c’est une question :

– Sérieusement ? Ce type s’appelle Chérubin ?

– Non on ne sait pas comment il s’appelle, c’est nous qui l’avons baptisé comme ça. Il a ses habitudes ici. Ce ne sont pas de bonnes habitudes, mais ce sont les siennes, et les nôtres. Est-ce que vous l’avez tapé ?

– Oui, mais j’ai cru qu’il m’attaquait et n’ai fait que me défendre.

– S’il vous avait attaqué, vous seriez mort, monsieur.

– C’est gentil de me prévenir, et de m’avoir enfermé seul avec lui surtout. S’il est si dangereux.

– Il n’est pas dangereux. Mais c’est bien que vous l’imaginiez. Vous non plus on ne sait pas votre nom, est-ce qu’il faut qu’on vous en attribue un aussi ? Moi j’ai Jean-Michel Jarre qui vous irait bien. Vous lui ressemblez, en moche. On part sur Jean-Michel Jarre ou vous êtes juste sorti sans vos papiers d’identité ?

– Je m’appelle Rodriguez, Jean-Georges Rodriguez, résident au 75 rue Francis de Pressensé.

– À Villeurbanne ?

– Non, à Vénissieux.

– Ils ont aussi une rue Francis de Pressensé à Vénissieux ?

– Oui, le monde est une réserve inépuisable de déconvenues.

– Je vous crois sur parole. Comment ça se fait qu’on vous ait ramassé sous un échafaudage à Villeurbanne ?

– Je vous avoue que je n’en sais trop rien, je suis un peu perdu… Je ne sais même pas quel jour on est.

– Ah bon ? Alors vous, je ne sais pas, mais mon collègue et moi on est dimanche. Et Chérubin, je suis sûr qu’il est dimanche aussi.

– Ouf alors il me manque quelque chose comme une grosse poignée d’heures, vingt-quatre peut-être, peut-être quarante-huit, je ne sais pas quel est mon dernier souvenir.

– Justement, on va essayer de tirer ça au clair. Le commandant Cellor veut vous voir. Cellor, comme Senor, mais avec un C et deux L, donc pas du tout comme Senor. Et c’est une femme.

– Elle veut me voir pour quoi ?

– Elle n’a rien dit. Mais elle a sorti son petit carnet et le lieutenant Houard, son binôme avait le front plein de plis.

– Et ?

– Et rien du tout. Ils sont toujours comme ça. Allez, venez avec moi, de toute façon il faut qu’on passe la cellule au karcher, et Monsieur Caca sous la douche.

– Une douche, ça ne me ferait pas de mal à moi aussi.

– Vous savez ce qui vous reste à faire, alors. De toute façon ces fringues ne vous vont pas du tout. Par contre, elles doivent pouvoir contenir de belles pièces.

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