Vanina Ah Ah §27

Cristo est quand même bien souvent le clairon de la cavalerie. Sa vieille Golf était à peine apparue au bout de la rue qu’il avait déjà compris la situation. Il s’est approché juste assez pour être visible, mais hors d’atteinte immédiate et il a aussitôt sorti son téléphone pour filmer. Et son flingue au cas où. Dans le genre, la Bedarride n’est pas mal non plus qui a traversé pour se positionner un peu à distance sur le trottoir d’en face. C’est sûr que quand on a affaire à des adversaires munis d’armes de poing, c’est la chose à faire. Là, ce n’est pas le cas, mais au moins le professionnalisme de l’équipe doit faire sa petite impression. D’ailleurs, les acrobates en face se sont écartés aussi. Et ne sont pas si tranquilles. Où allaient-ils d’un si bon pas ? Peut-être à la rencontre d’un des leurs venus les récupérer ? Mais le commandant Cellor les a interpellés sur toute autre chose :

– Dites ? Vous n’avez pas vu mes hommes ?

– Non, pourquoi ? Ils ne sont pas là-bas ? Non ?

– Vous les avez vus partir ?

– Non. Après c’est sûr que je n’ai pas été sur le coup tout le temps. Mais si vous aviez besoin que je les surveille, il fallait me demander. Je vous aurais dit non. Parce que je fais déjà la baby-sitter du grand-tout-dur ici présent. Et puis parce que de toute façon, non, je vous aurais dit non, point barre.

– Et votre grand-tout-dur il n’a rien vu ?

– Demandez-lui, il a une langue. Teflon ? La dame, elle a perdu ses policiers. Tu ne les aurais pas mis dans ta culotte ?

Teflon joue remarquablement le jeu, avec ce qu’il faut de finesse pour le moins, puisqu’il se met la main au paquet et procède à une palpation en règle en regardant très subtilement la sergente Bedarride. C’est un numéro de grande classe, mais comme réponse, ça laisse un sentiment d’incomplétude. Alors Jézebel Cellor se permet d’y insister.

– Je crois savoir que nous dépendons de la même hiérarchie et qu’il y a peu notre bon ministre faisait grand battage d’une collaboration de nos services. Enfin de nos services à nous et de vos largesses à vous. J’ai une petite dizaine de collègues qui ont disparu sous votre nez, et je réitère ma question, qui sera consignée sur procès-verbal dans le cadre de l’enquête que nous menons, et qui est déjà consignée sur support numérique par l’agent assermenté Cristo qui vous filme : savez-vous où sont mes hommes ?

– Et je le répète, et ça vaudra également un rapport circonstancié à qui de droit, que je n’en sais rien. Comme je vous le dis, j’ai pu les quitter des yeux parce qu’ils ne m’intéressent pas de base, mais aussi pour gérer ma propre enquête, laquelle par exemple me mène à l’endroit où je me trouve précisément maintenant. Et vous voyez, de là où je suis, comme de là où vous êtes, je n’ai pas de vue sur les allées et venues dans la ruelle où se situe votre enquête.

Cellor se retourne et effectivement, si ses gars ont quitté la scène de crime et ont remonté la rue des Près en direction de Vaulx-En-Velin, ces deux- là, s’ils étaient vraiment dans le secteur, ont pu ne même pas soupçonner leur départ groupé. Reste à savoir pourquoi ils seraient partis tous ensemble, en laissant tout en plan. Et question subsidiaire : qu’est-ce qu’il y a à voir dans cette rue perpendiculaire qui pourrait intéresser une quadra qui court vite et une caille de 130Kg ? Elle regarde autour d’elle. Ici, il n’y a que des entrepôts, des petites unités de production, un gardiennage de caravanes et bateaux, et un silo désaffecté qui doit dater d’un passé agricole de la bande près du canal. S’il y a une enquête ici, elle concerne forcément la sienne. Et Houard tout à l’heure disait être sur une piste. Elle n’a pas assez de ses méninges à elle, alors elle fait signe à la sergente Bedarride qu’on peut partir sur l’idée d’une trêve avec les surhommes, et toutes deux rejoignent l’agent Cristo vers sa voiture. L’accueil est chaleureux :

– Thelma, toi ici, quelqu’un a réussi à te faire sortir de ta grotte ? On s’est vu ce matin ?

– Ça changerait quelque chose ?

– Ça changerait quelque chose si on avait l’habitude de se dire bonjour, et d’échanger des nouvelles.

– Ah oui ? Et ça va la petite santé, Cristo ?

– De quoi je me mêle ?

Le commandant Celor jetterait bien un seau d’eau aux duettistes, ne serait-ce que parce que ça fait trop d’amour d’un coup. Et puis il va falloir se centrer un peu sur les priorités. La Guéparde et Teflon sont restés figés sur leurs positions ; alors soit ils n’étaient finalement pas sur une piste, soit la présence policière les empêche d’investiguer. Quoi qu’il en soit, ils sont plus louches que jamais, plantés là à ne rien faire. On pourrait les empailler sur pieds. Alors elle baisse la voix presque au niveau du murmure :

– Déjà Cristo, merci d’être venu si vite. Et pardon d’avoir flingué votre dimanche, et peut-être la soirée à venir.

– Pas de bile, patronne, je suppose qu’il y a importance et urgence.

– On a les deux, oui. D’abord, comme vous voyez, on a l’équipe intergalactique de patinage artistique sur le dos.

– Oui, je vois, et vous savez ce qu’ils veulent ?

– Je sais qu’ils cherchent Houard.

– Houard ? Le lieutenant Houard ? Et pour quoi faire ?

– Ils ne l’ont pas dit, lui ne le sait pas, et nous non plus du coup. Et le plus beau, c’est qu’ils l’ont retrouvé ici. Ça, on en est sûr. Je ne sais pas ce qu’ils se sont dit, mais ce que je sais c’est que, depuis, Houard a disparu.

– Ce n’est pas bon ça.

– C’est d’autant moins bon qu’en plus il n’a pas disparu seul. En fait, tout le monde a disparu. Lui, le brigadier Jeanmaire, je crois qu’il y a les agents Sireux, Touré et Vanditelli, mais Vanditelli, je ne suis pas sûre de ne pas l’avoir vu ce matin partir dans une ronde. Si ce n’est pas Vanditelli, c’en est un autre, je n’ai pas fait l’inventaire. Mais on a cinq disparus d’un coup. Plus les quatre de la scientifique.  Lerdon est ses habituels, le barbu qui a toujours des miettes dans la barbe, et la fille qui dit tout le temps « non, mais je rêve ».

– Le sergent Netter, je ne sais pas son prénom.

– Oui, voilà Netter. Mariette, ou Marielle. Ou Yvonne. Et puis il doit y a voir un stagiaire aussi, et le compte est bon. Neuf. Tous disparus. Les neuf d’un coup.

– Oui, ça fait un gros vide. Et forcément, c’est lié à l’enquête ?

– Forcément, oui. De quelle manière, je ne sais pas, mais c’est lié.

– Est-ce que ça ne pourrait pas être lié à l’enquête des deux cons à pois et paillettes d’en face aussi ? Ils vont où d’ailleurs ?

– Ils retournent vers la scène de crime. Ce serait bien qu’ils n’y entrent pas. On ferait bien d’y aller aussi et d’arriver avant eux. Encore que je crois que si la grande chatte en skaï veut nous prendre de vitesse, on ne pourrait pas lutter, même en étant déjà là-bas. Bon, faisons leur confiance… ils savent que nous sommes la loi.

– Et ils savent mieux que personne que la loi, c’est fait pour les honnêtes gens… si c’est lié à l’enquête, est-ce que ce ne serait pas lié aussi à nos deux invités étranges de ce matin ? La petite mignonne qui est venue spontanément témoigner avec ses histoires à dormir debout. Et le briscard amnésique qu’on a ramassé par terre et qu’elle a formellement identifié.

– Si, ils sont probablement dans le décor. Pour preuve, ils ont disparu aussi. Ils se sont évadés. Oui oui, vous avez bien entendu… ou alors… ils se sont tous concertés, et tout le monde nous attend à la brigade, dans le noir, et ils vont tous crier « surprise » quand on va allumer. Il faut retrouver notre équipe, si on n’a rien dans une heure j’appelle des renforts. Cristo, vous vous sentez de quadriller la zone en voiture avec le sergent Bedarride.

– Non, mais on est de grandes personnes… enfin… à peu près.

– Elle va vous guider et assurer vos arrières.

– Oui, je me doutais bien que vous l’aviez recruté pour ses qualités foncières. Parce qu’elle a l’air un peu méchante comme ça, mais en vrai elle est très méchante.

Thelma Bedarride grimace un gnagnagna sans le prononcer, et fait déjà le tour de la Golf, qu’elle semble assez peu trouver à son goût. Et encore moins à sa hauteur. Elle s’y installe, ouvre la fenêtre, et claque deux fois des mains. Elle n’a pas la journée. Le commandant Houard presse le bras de l’agent Cristo et se focalise sur cette trace au sol, qui avait l’air d’intéresser la justicière pleine de morgue et son associé plein de morve. Ça a l’air de remonter la rue au moins jusqu’au croisement de la rue des Prés. Ça tombe bien, c’est son chemin. Cristo démarre derrière elle, et intrigué aussi, choisit de rouler au pas, fenêtre ouverte :

– Vous avez quelque chose, patronne ?

– Non pas vraiment, mais plus ça va moins j’ai d’idées. Dites, Cristo vous voulez bien appeler le pavillon 7 de Grange-Blanche ?

– Pour savoir si la gamine de cette nuit est tirée d’affaire ?

– Oui, et puis des fois qu’elle soit en état d’être interrogée.

– Je fais ça.

– Merci Cristo, par contre vous pensez bien à vous ranger sur le côté, si vous téléphonez. Parce que sinon votre passagère, va arracher la poignée de sa portière et manger son appui-tête. Elle prend beaucoup sur elle, mais elle a peur en voiture.

Cristo freine immédiatement et sort son téléphone. Droit devant les justiciers se sont arrêtés avant d’atteindre la ruelle. Ils sont agrippés tous deux à un grillage et semblent tentés de passer par-dessus. Enfin le grand Teflon n’est pas taillé pour une telle escalade, sauf à mettre en grand péril le grillage escaladé.  Mais la Guéparde, oui qui regarde les flics et essaye d’apprécier si en usant de sa grande vitesse elle aurait le temps de faire l’aller-retour ni vue ni connue. Et la réponse est non. Sa rapidité extrême s’exprime dans la course. Pour tout le reste, elle est comme tout un chacun. Elle est plus et mieux entraînée que tout un chacun, mais ses performances n’excèdent pas celles d’une bonne sportive. Et en escalade, avec son vertige, elle est juste passable. En plus, la grande flic a suivi son regard, et aussitôt accéléré le pas pour venir jusqu’à elle.

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